Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), principal mouvement indépendantiste de Nouvelle-Calédonie, a confirmé mercredi 13 août son rejet du projet d’accord négocié à Bougival (Yvelines) et signé le 12 juillet sous l’égide du ministre des outre‑mer, Manuel Valls. La décision a été prise lors d’un congrès extraordinaire convoqué samedi par le mouvement et annoncée en conférence de presse à Nouméa.
Motifs du rejet et réactions internes
Le secrétaire général de l’Union calédonienne et membre du bureau politique du FLNKS, Dominique Fochi, a expliqué que le mouvement « rejette formellement le projet d’accord de Bougival, en raison de son incompatibilité avec les fondements et acquis de [sa] lutte ». Dans la même conférence, la syndicaliste Marie‑Pierre Goyetche, également membre du bureau politique, a souligné qu’il s’agissait d’un « rejet en bloc » et annoncé que le FLNKS « ne participera pas au comité de rédaction » proposé par Manuel Valls.
Le mouvement indépendantiste reproche principalement au texte de ne pas aller assez loin dans la souveraineté de la Nouvelle‑Calédonie, en particulier parce qu’il ne prévoit pas la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance. Le projet suscite donc une levée de boucliers dans une large partie du camp indépendantiste, qui estime que les avancées proposées restent insuffisantes.
Contenu du projet et oppositions
Le texte issu des négociations à Bougival prévoit, selon ses rédacteurs, la création d’un « État de Nouvelle‑Calédonie » et l’instauration d’une nationalité calédonienne, ainsi que la possibilité de transférer au territoire des compétences régaliennes telles que la monnaie, la justice et la police. Ces dispositions n’ont pas réussi à apaiser les critiques indépendantistes, qui les jugent incomplètes au regard de l’objectif d’une souveraineté pleine et entière.
À l’inverse, le projet reste soutenu par l’ensemble du camp non‑indépendantiste, par l’Eveil océanien (parti « ni‑ni », ni indépendantiste ni loyaliste), ainsi que par deux mouvements indépendantistes qui ont quitté le FLNKS en 2024 : le Parti de libération kanak (Palika) et l’Union progressiste en Mélanésie (UPM).
Les deux principaux mouvements non‑indépendantistes, Les Loyalistes et le Rassemblement‑LR, ont déploré la décision du FLNKS dans un communiqué, parlant de « reniement de sa signature » et de « nouvelle trahison ». Ils appellent à la création « d’un comité ad hoc, composé de loyalistes et d’indépendantistes favorables à l’accord de Bougival, de membres de la société civile et d’experts » pour « approfondir certains aspects techniques » du texte.
Manuel Valls a vivement regretté ce rejet, le qualifiant d’« incompréhensible » dans un message publié sur Facebook, tout en appelant au maintien du dialogue. Il a assuré que sa porte restait « évidemment ouverte » pour comprendre les raisons de ce choix et qu’il ne comptait « pas se résigner ». Le ministre avait annoncé qu’il se rendrait en Nouvelle‑Calédonie la semaine du 18 août pour tenter de sauver l’accord.
Contexte des tensions et mémoire des violences
En visioconférence depuis Mulhouse — où il a été incarcéré « pendant près d’un an », selon les termes rapportés par le FLNKS — le président du mouvement, Christian Tein, a dénoncé « un accord à marche forcée proposé par Macron ». Il a estimé que « l’on n’a pas tiré les leçons de ce que le pays a traversé », faisant référence aux violences et aux tensions récentes.
Le FLNKS a en outre mis en garde l’État contre « toutes nouvelles tentatives de passage en force », renvoyant explicitement au projet de dégel du corps électoral porté par Gérald Darmanin lorsqu’il était ministre de l’intérieur. L’opposition indépendantiste à ce projet avait provoqué une mobilisation qui a dégénéré le 13 mai 2024 en émeutes, événements tragiques et violents ayant entraîné la mort de 14 personnes et des dégâts estimés à plusieurs milliards d’euros, selon le bilan cité dans les déclarations publiques.
Le rejet formel du texte par le FLNKS ouvre une phase de forte incertitude politique en Nouvelle‑Calédonie. Les acteurs concernés et l’État, représenté par Manuel Valls, se disent disposés à poursuivre le dialogue, mais le fossé entre les positions laisse craindre des négociations difficiles à court terme.