C’est un nouveau signe de la tension qui traverse le patronat français autour des menaces fiscales visant les grands groupes et leurs dirigeants. Habituellement discrète, l’Association française des entreprises privées (AFEP) a choisi de rompre son silence en organisant une conférence de presse publique, geste inhabituel pour une organisation qui privilégie les discussions directes avec les pouvoirs publics.
Une prise de parole rare et symbolique
L’AFEP, qui se décrit comme le rassemblement de 117 grands groupes — « d’Accor à Wendel, en passant par Carrefour, Dassault et Shell » — a longtemps fait de la discrétion sa règle de conduite. Dans la pratique, l’essentiel de son influence s’exerce hors des caméras, à travers des échanges privés avec ministres et députés.
La conférence organisée mercredi 24 septembre est présentée comme la première du genre depuis plusieurs années et comme l’une des rares depuis la fondation de l’association en 1982, qui, selon ses fondateurs, répondait alors à l’arrivée de la gauche au pouvoir. Ce caractère exceptionnel renforce la portée politique et symbolique du message délivré.
Le message : « attention à ne pas trop charger la barque fiscale »
L’alerte portée par l’organisation présidée par Patricia Barbizet est claire : éviter d’alourdir excessivement la pression fiscale sur les grandes entreprises. L’AFEP s’inquiète notamment de mesures prévues dans le budget 2025, qui ciblent spécifiquement les grands groupes.
Parmi ces mesures, l’association cite une surtaxe sur l’impôt sur les bénéfices — présentée comme temporaire — ainsi qu’une taxe sur les rachats d’actions. Selon l’AFEP, l’ensemble des 117 groupes associés pourrait se retrouver confronté à 95 milliards d’euros de cotisations et de prélèvements obligatoires en 2025, soit 10 milliards d’euros de plus qu’en 2024.
L’AFEP met en avant l’impact cumulé de ces mesures sur la compétitivité et la capacité d’investissement des entreprises concernées, tout en appelant à la prudence quant à des hausses concentrées sur un segment limité du tissu économique.
Un discours calibré mais vigilant
Le ton de l’intervention était à la fois mesuré et vigilant : l’association n’a pas opté pour la confrontation frontale, mais a voulu marquer une forme d’inquiétude collective face à des décisions fiscales perçues comme ciblées. La rareté de ce recours à la tribune publique suffit, selon l’AFEP, à souligner l’importance du dossier.
En choisissant la voie d’une conférence de presse, l’organisation a cherché à rendre visible une préoccupation partagée par ses membres, plutôt que de la cantonner aux coulisses des négociations. Ce choix laisse entendre qu’un dialogue bilatéral avec l’exécutif et le Parlement ne suffit plus, du moins à ses yeux, à répondre à l’ampleur des enjeux actuels.
Enjeux et limites du débat
L’argumentation de l’AFEP met en avant des effets macroéconomiques : incidence sur l’emploi, l’investissement et l’attractivité fiscale de la France. Ces éléments constituent des points classiques du discours patronal lors de débats sur la fiscalité des entreprises.
Il convient toutefois de souligner que l’évaluation chiffrée avancée par l’association — 95 milliards d’euros en 2025 — émane de ses propres calculs et reflète son cadrage politique. Les estimations peuvent varier selon les méthodes de comptabilisation retenues et les paramètres pris en compte. Dans ce contexte, la portée exacte des effets macroéconomiques avancés dépendra des arbitrages législatifs et des modalités d’application des mesures annoncées.
Les débats parlementaires et les analyses indépendantes seront déterminants pour affiner l’ampleur réelle des prélèvements supplémentaires et leurs conséquences économiques.
Vers quelle suite ?
En prenant la parole publiquement, l’AFEP cherche à peser dans le débat budgétaire et à sensibiliser l’opinion publique à ce qu’elle présente comme une surcharge fiscale potentiellement néfaste pour les grandes entreprises. Reste à savoir si cette stratégie de visibilité renforcée influencera les décisions finales inscrites dans le budget 2025.
La situation illustre, en tout cas, la crispation d’une partie du patronat face à des mesures fiscales ciblées, et annonce probablement des échanges soutenus entre représentants des entreprises et décideurs politiques dans les semaines à venir.