La veille de son discours politique général, Sébastien Lecornu avait été alerté par une mise en garde : « Notre seule mission est de dépasser cette crise politique dans laquelle nous nous trouvons, et qui si dère une partie de nos concitoyens et peut aussi sidérer une partie du monde qui nous regarde ». Ce rappel a précédé une prise de parole prononcée mardi 14 octobre, au cours de laquelle le Premier ministre a tenté d’apaiser un hémicycle particulièrement réactif à chacune de ses déclarations.
Priorité au budget et objectif de déficit
Au cœur du discours, la question budgétaire a occupé une place centrale. Le chef du gouvernement, reconduit dans ses fonctions le 10 octobre après avoir déposé sa démission quelques jours plus tôt, a rappelé la nécessité pour le pays de « dépasser ses divisions » en période de crise.
Le Premier ministre a fixé comme repère un déficit « à moins de 5 % du PIB en 2026 ». Dans la copie budgétaire proposée par l’exécutif, le déficit serait « réduit à 4,7 % du PIB contre 4,6 % suite au retrait de la suppression des deux jours fériés », a-t-il précisé sans entrer dans le détail des postes affectés.
Il a ensuite rappelé le cadre européen, qui impose traditionnellement des repères hérités des années 1990 : ne pas dépasser 3 % du PIB pour le déficit public et 60 % pour la dette publique. Ces règles, inscrites dans le Pacte de stabilité et de croissance, ont toutefois été révisées en avril 2024. François Bayrou, son prédécesseur, avait invoqué l’une des flexibilités introduites dans cette réforme en visant un retour sous le seuil des 3 % en 2029, a-t-il rappelé.
Sur la procédure budgétaire, Sébastien Lecornu a insisté : « le vote dictera le produit final sur la dette, les impôts, les dépenses, les économies… ». Il a assuré que « le budget sera au cœur du débat » et martelé : « Je ne serai pas le Premier ministre d’un dérapage des comptes publics ». Il a aussi affirmé que « dès 2025, nous aurons respecté les 5,4 % de déficit prévus par mon prédécesseur ».
Suspension de la réforme des retraites et coûts estimés
Dans un geste destiné à désamorcer une menace de censure et à apaiser les tensions parlementaires, le Premier ministre a annoncé la suspension de la réforme des retraites de 2023. Il a déclaré : « Je proposerai au Parlement dès cet automne que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites jusqu’à l’élection présidentielle ».
Concrètement, aucun relèvement de l’âge n’interviendra « à partir de maintenant jusqu’à janvier 2028 », comme l’avait demandé la CFDT, et la durée d’assurance sera également suspendue et restera à 170 trimestres jusqu’à janvier 2028. Le chef du gouvernement a chiffré le coût de cette suspension à 400 millions d’euros en 2026, puis à 1,8 milliard d’euros l’année suivante. Il a ajouté que la mesure bénéficierait à terme à 3,5 millions de Français.
Lecornu a toutefois précisé que cette suspension devra être compensée financièrement, y compris « par des mesures d’économie », et qu’elle « ne pourra pas se faire au prix d’un déficit accru ». Pour préparer le terrain, il a proposé la tenue d’une conférence sur les retraites et le travail, associant partenaires sociaux et autorités, afin d’aborder d’autres sujets cruciaux comme l’attractivité de certains métiers, le travail pénible ou les carrières longues.
Mesures complémentaires et cadrage politique
Parmi d’autres annonces figurent la volonté de renforcer la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. « Nous demanderons à créer une contribution exceptionnelle des grandes fortunes que nous proposons d’affecter au financement des investissements du futur qui touchent à notre souveraineté », a-t-il indiqué, en ciblant des domaines comme les infrastructures, la transition écologique et la défense.
Le dirigeant, âgé de 39 ans, a souligné la nécessité « de continuer à dépenser moins » et d’inscrire les économies dans un cadre pluriannuel appuyé sur une réforme de l’État. Il a également évoqué la question sensible de la Nouvelle‑Calédonie et promis un nouvel « acte de décentralisation » via un projet de loi déposé en décembre.
En clôture, Sébastien Lecornu a rappelé l’urgence et le ton grave de son intervention, s’interrogeant sur l’impact d’une France affaiblie : « Qui, parmi les Français, se sentirait mieux si la France se divise plus encore, si elle est plus faible, si elle repousse les questions de fond et les questions d’urgence ? » Il a conclu par un avertissement : « Les seuls qui se réjouiraient d’une crise, d’un panne budgétaire, ne sont pas les amis de la France. »
Le discours marque une tentative de conciliation entre contraintes budgétaires, apaisement social et priorités stratégiques, alors que l’exécutif cherche à stabiliser sa feuille de route avant les échéances politiques à venir.