Règle de la racine cubique et députés : la solution Condorcet pour concilier représentativité et efficience parlementaire, et ses limites institutionnelles

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Condorcet propose un compromis mathématique entre représentativité et efficacité : le nombre optimal de députés suit approximativement la règle de la racine cubique de la population. Cette heuristique simple éclaire le débat sur la taille des assemblées, tout en soulignant ses limites institutionnelles.

Nicolas de Condorcet (1743–1794) s’est tôt penché sur une question récurrente de la vie parlementaire : quel nombre de députés permet de représenter correctement une population sans nuire à l’efficacité du travail législatif ? Sa réflexion, formulée notamment dans ses projets constitutionnels — en particulier celui de 1793 — combine une ambition politique et une méthode rationnelle fondée sur des arguments mathématiques.

Représentativité versus efficacité : la tension centrale

Pour Condorcet, un parlement ne doit être ni trop fourni, au risque de ralentir les débats et d’exacerber les passions, ni trop restreint, au détriment de la diversité des opinions et des intérêts. Chaque député incarne une portion de la population mais doit aussi discuter, négocier et coopérer avec ses collègues. La qualité d’une assemblée dépend donc de deux dimensions complémentaires : la représentativité — combien de citoyens chaque élu représente — et la capacité de délibération entre élus.

L’intuition centrale de Condorcet est que le nombre d’élus « optimal » augmente avec la population, mais plus lentement que celle‑ci. Autrement dit, si la population double, il n’est pas nécessaire que le nombre de députés double pour conserver une représentation satisfaisante ; la croissance du corps législatif suit un rythme moins rapide que celui de l’ensemble des citoyens.

Un argument mathématique simple : la racine cubique

Le raisonnement mis en avant pour formaliser cette intuition est élémentaire et repose sur deux estimations. Soit P la population totale et D le nombre de députés. En moyenne, chaque député représente P/D citoyens. Parallèlement, les échanges entre députés peuvent être approchés par le nombre de relations internes : si l’on suppose que chaque élu interagit avec les autres, ce nombre croît en proportion de D² (on néglige ici la constante 1/2 issue du calcul exact D×(D−1)/2, afin de rester sur une approximation simple).

Si l’on considère que la mission de représentation (P/D) et la mission de délibération (proportionnelle à D²) doivent avoir un poids comparable, on peut poser P/D ≈ D². En réarrangeant cette égalité, on obtient P ≈ D³, donc D ≈ la racine cubique de P. Autrement dit, le nombre « optimal » de députés croît approximativement comme P^(1/3).

Ce raisonnement reste une heuristique : il simplifie des réalités complexes, mais il rend compte d’un compromis entre deux impératifs concurrents et mesurables.

Illustrations et limites de la règle

Pour rendre l’idée plus concrète, on peut considérer des populations choisies pour leur simplicité numérique. Pour P = 1 000 000, la racine cubique donne D ≈ 100 (puisque 100³ = 1 000 000). Pour P = 27 000 000, on trouve D ≈ 300 (300³ = 27 000 000). Ces exemples montrent que la règle produit des ordres de grandeur intuitifs sans prétendre à une prescription juridique stricte.

La formule néglige cependant de nombreux facteurs institutionnels : mode de scrutin, fédéralisme, découpage territorial, rôle des chambres hautes, poids des partis, moyens technologiques favorisant la communication, et traditions constitutionnelles. Ces éléments peuvent justifier des écarts importants entre la « règle » mathématique et les effectifs réels choisis par les États.

Une régularité empirique et son statut

Deux siècles après Condorcet, des politistes ont observé, à partir des données comparatives, une régularité statistique approchant la racine cubique de la population pour le nombre de parlementaires dans plusieurs démocraties. Cette constatation empirique, apparue dans les travaux des années 1950, ne constitue pas une loi universelle mais offre un cadre heuristique utile pour penser l’arbitrage entre représentativité et efficience.

En pratique, la « règle de la racine cubique » a valeur d’outil d’analyse plutôt que de prescription : elle invite à interroger les motivations d’un choix de taille d’assemblée et à comparer les conséquences de variantes institutionnelles, mais elle ne remplace pas l’examen des contraintes politiques et historiques propres à chaque pays.

En résumé, la réflexion de Condorcet relie étroitement une ambition démocratique — représenter fidèlement la diversité des citoyens — et une exigence procédurale — maintenir la capacité de délibération. L’argument mathématique qui en découle, simple et transparent, explique pourquoi le nombre d’élus peut croître avec la population tout en restant modéré, et pourquoi la racine cubique de la population constitue une référence heuristique fréquemment citée dans les débats sur la taille des assemblées.

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