Profitant du débat budgétaire et d’un contexte politique qui l’a placé au centre de l’attention, l’extrême droite française amplifie une stratégie destinée à élargir son électorat. Le Rassemblement national (RN), porté par le duo Marine Le Pen–Jordan Bardella, multiplie les promesses destinées à séduire à la fois les retraités, le patronat et les classes populaires.
Une stratégie « attrape‑tout » aux registres contradictoires
Sur le plan économique, le RN articule deux discours apparemment opposés. D’un côté, il se présente comme un État protecteur, s’engageant pour le pouvoir d’achat ; de l’autre, il défend un libéralisme antifiscal qui séduit certains milieux d’affaires. Le parti promet notamment une baisse d’impôts pour les ménages modestes — formulation qui, selon les critiques, bénéficierait en réalité davantage aux classes moyennes et aux héritiers — et refuse de « taxer les riches ».
Parallèlement, le RN annonce des mesures visant à réduire le « train de vie de l’État » et à renforcer la lutte contre l’insécurité. Ces annonces visent à rassurer des électorats traditionnellement réticents à ses positions, tout en maintenant un discours populaire susceptible de préserver son ancrage sur les classes populaires.
Les largesses présentées et le « payeur » supposé
La rhétorique déployée masque toutefois une ligne politique plus dure sur l’immigration et l’identité : le parti suggère que les économies promises pourraient résulter de réductions liées à l’immigration dite « de guichet social ». Le texte de campagne et certains discours du RN laissent transparaître l’idée que l’étranger serait, en définitive, le « payeur » des efforts demandés à la nation.
Cette position s’est illustrée lors du discours de rentrée de Marine Le Pen, prononcé le 14 septembre à Bordeaux, au cours duquel son auditoire a scandé « On est chez nous ! ». Ces formules ont été reprises par les porte‑parole du parti pour lier les questions économiques et identitaires.
Un ancrage idéologique historique
Le recours à la dénonciation des « ennemis de l’intérieur » n’est pas nouveau dans l’histoire politique française. L’historien Laurent Joly rappelle qu’un « patriotisme tourné contre les “ennemis de l’intérieur” d’origine étrangère » a contribué à la formation d’un nationalisme à la fin du XIXe siècle. Il ajoute que ce que certains qualifient de « nationalisme ethnique », cultivé par des penseurs comme Maurice Barrès (1862‑1923) et Charles Maurras (1868‑1952), demeure un élément structurant de l’extrême droite française: « C’est à cela qu’on la reconnaît encore aujourd’hui. »
Dans ce paysage, les responsables du RN affirment avoir rompu avec les idéologies passées et se présentent comme guidés par le « bon sens ». Néanmoins, des courants identitaires et racialistes liés à l’histoire du Front national restent, selon les observateurs, présents dans l’entourage du parti.
Un contexte parlementaire favorable
La capacité de nuisance et d’influence du RN s’est accrue depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024. Le parti tire parti de l’affaiblissement de l’exécutif macroniste et du ralliement progressif d’une partie de la droite républicaine pour faire entendre ses propositions, y compris sur le budget, domaine où il pesait peu jusqu’alors.
Cette nouvelle configuration élargit l’audience des discours du RN et complexifie les équilibres politiques. En promettant des mesures très diverses à des publics variés, le parti cherche à masquer les tensions internes entre ses propositions économiques et ses revendications identitaires.
À court terme, cette tactique pourrait stabiliser une base électorale plus large. À plus long terme, elle pose la question de la cohérence entre annonces de pouvoir d’achat, promesses de limitation fiscale et mesures de contrôle migratoire, ainsi que de leurs conséquences budgétaires et sociales.





