Hier [le 18 novembre], j’ai enterré mon frère. La douleur est profonde et diffuse : elle morcelle le quotidien et réclame chaque pensée. Pourtant, au milieu du chagrin, la lucidité reste entière. Les gestes, les mots et les silences qui entourent cette disparition demandent à être nommés.
La cérémonie funéraire a refermé une étape intime du deuil. Mais elle n’a pas effacé la question publique : comment la vie d’un homme a-t‑elle pu être fauchée ainsi, et pourquoi tant d’indifférence semble maintenant se déposer sur cette perte ? Les discours de circonstance, les postures affligées et la course rapide vers l’oubli suscitent une colère froide. Beaucoup seront émus aujourd’hui et reprendront leur route demain, comme si rien n’était survenu.
De la douleur individuelle à la parole publique
La décision de parler ne relève pas d’un désir de revanche mais d’une obligation de mémoire. « Mille fois j’écrirai son nom », écrit la personne endeuillée, exprimant la volonté de faire face aux auteurs et aux commanditaires, et de garder vivante la mémoire de Mehdi. Cette promesse est aussi un refus de laisser sa mort sombrer dans l’oubli, neutralisée par la routine des vies publiques.
Prendre la parole, ici, c’est tenter de traverser le mur du silence. C’est dénoncer la banalisation de la violence et la manière dont certaines existences deviennent invisibles aux yeux d’une partie de la société. Le deuil personnel devient ainsi une tribune, non pour instrumentaliser la douleur, mais pour exiger qu’on reconnaisse une réalité qui, trop souvent, reste tue.
La question du narcotrafic et de l’impunité
Le texte original désigne explicitement le narcotrafic comme contexte de la mort de Mehdi. Il évoque « la violence du narcotrafic », « son emprise », ainsi que la « lâcheté des commanditaires » et la « dérive folle de ceux qui exécutent des contrats ». Ces mots traduisent une analyse : la criminalité organisée pèse, fracture des vies et laisse derrière elle des familles brisées.
Dire que « Mehdi est mort pour rien » est une formulation volontairement tranchée. Elle traduit l’injustice ressentie face à une vie ôtée sans justification apparente pour ceux qui restent. L’accusation d’assassins et de commanditaires reflète la conviction intime du cercle familial et l’absence — réelle ou perçue — de réponses apportées par les autorités compétentes.
Les responsabilités publiques et les territoires délaissés
La lettre évoque aussi « les carences de l’État, les failles de la République, les territoires abandonnés et les populations oblitérées ». Ces expressions renvoient à des défaillances institutionnelles perçues : la prévention faible, l’absence de protection, l’inégalité d’accès à la sécurité. Sans détailler des données chiffrées ou des enquêtes précises, cette lecture met en lumière un ressenti largement partagé par des familles confrontées à la violence organisée.
Parler des « territoires abandonnés » signifie pointer des lieux où la présence régalienne est insuffisante, où la protection des citoyens paraît lacunaire et où la contestation sociale se mêle à l’angoisse quotidienne. Ces réalités, lorsqu’elles existent, façonnent un terrain propice à l’érosion du lien social et à l’extension d’activités criminelles.
Le texte emprunte une imagerie forte pour décrire le silence et la violence : « Je dirai pour trouer le silence comme eux trouent les corps de nos proches. » Cette formule, volontairement choquante, vise à rompre la neutralité confortable d’un public qui observe de loin. Elle est l’expression d’une détermination à rendre visible ce que l’auteur considère comme une injustice.
Enfin, l’affirmation « Non, je ne me tairai pas » constitue l’un des éléments les plus marquants du texte. Elle synthétise la posture adoptée par l’auteur : transformer le deuil en action de mémoire, interpeller les consciences et maintenir la lumière sur une disparition jugée inacceptable.
Ce témoignage personnel, à la fois poignant et revendicatif, ne prétend pas remplacer une enquête judiciaire ni fournir des conclusions définitives sur les responsabilités. Il rend compte, en revanche, d’une souffrance intime qui se convertit en exigence publique : que la mort d’un être cher ne soit pas traitée comme un fait divers parmi d’autres, mais qu’elle appelle des réponses claires, des investigations et, surtout, une reconnaissance de la dignité des victimes et des proches.





