Contenu de la proposition
Le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez, a déposé, lundi 24 novembre, une proposition de loi visant à interdire aux mineures de porter le voile dans l’espace public. L’article unique du texte prévoit d’interdire « à tout parent d’imposer à sa fille mineure ou de l’autoriser à porter, dans l’espace public, une tenue destinée à dissimuler sa chevelure ».
Le dépôt s’appuie notamment sur un rapport qualifié dans l’article d’« controversé », commandé par le gouvernement et publié en mai dernier, qui évoque une « augmentation massive et visible du nombre de petites filles portant le voile ». Le texte vise à modifier la loi du 11 octobre 2010, en vigueur pour l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, pour y inscrire une interdiction spécifique au port du voile par des mineures.
Argumentaire avancé par l’auteur du texte
Selon Laurent Wauquiez, le port du voile par des mineures porte atteinte à des principes républicains « les plus fondamentaux ». Il cite, dans son exposé des motifs, la « protection de l’enfant », la « liberté de conscience » et « l’égalité entre les hommes et les femmes » comme justifications de sa démarche.
Le texte place ainsi la question sous l’angle de la protection des mineures face à une tenue perçue comme susceptible d’être imposée par l’entourage familial ou communautaire plutôt que choisie librement par l’enfant.
Réserves juridiques et constitutionnelles
Plusieurs professeurs de droit public interrogés par l’Agence France-Presse expriment des doutes sérieux sur la conformité de la proposition avec la Constitution. Les critiques portent d’abord sur le principe de liberté de religion, qui pourrait être directement affecté par une interdiction ciblant le voile islamique dans l’espace public.
La constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina estime que le texte « n’a aucune chance d’être conforme », en rappelant que la loi de 2010 justifie l’interdiction du visage par des motifs de sécurité et d’ordre public et ne « vise aucune religion en particulier ». Elle souligne que la nouvelle proposition, elle, cible clairement le voile islamique, ce qui poserait un problème de principe.
Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, se dit également « très réservé ». Il reconnaît que la stratégie de rassembler l’argumentation autour de la « préservation des droits de l’enfant » est « assez habile », mais juge cet élément insuffisant pour garantir la conformité constitutionnelle du texte.
Complexité juridique autour de l’âge et de l’intention
Les juristes interrogés distinguent la situation d’une fillette très jeune de celle d’une adolescente. Assimiler systématiquement le port du voile par une mineure à « une forme d’asservissement » apparaît juridiquement fragile, notent-ils. « Incontestablement, une fillette de 9 ans pourrait le faire par mimétisme ou sous l’effet d’une instrumentalisation », observe M. Derosier. « Mais une adolescente de 16 ans peut davantage le porter par conviction personnelle. »
Cette distinction met en lumière le défi que pose la proposition : faire coexister une protection de l’enfance et le respect des libertés individuelles liées à la conscience et à la pratique religieuse, en tenant compte de l’évolution de la capacité de discernement selon l’âge.
Calendrier parlementaire et chances d’examen
Sur le plan procédural, l’examen rapide du texte semble peu probable. La journée annuelle réservée aux propositions du groupe LR n’est prévue que le 22 janvier, ce qui laisse entendre que le débat parlementaire, s’il a lieu, pourrait intervenir dans les semaines suivantes plutôt qu’immédiatement.
En outre, la contestation sur le plan constitutionnel et les réserves exprimées par des spécialistes du droit public laissent supposer que le texte, s’il était adopté en première lecture, ferait l’objet de nombreux recours et d’un examen approfondi du Conseil constitutionnel.
Enfin, la controverse publique autour de la portée et du ciblage de l’interdiction illustre le défi politique posé par une mesure qui mêle questions de laïcité, protection de l’enfance et libertés individuelles. Les arguments avancés par le déposant et les critiques juridiques montrent que le débat, s’il s’ouvre, portera autant sur la finalité que sur la compatibilité juridique de la mesure.





