L’échec de l’adoption du budget 2025, attribué l’an dernier au renversement du gouvernement de Michel Barnier, pourrait se reproduire pour l’exercice suivant. Le calendrier budgétaire accuse un retard et aucune majorité claire ne s’est dégagée entre les forces politiques, ce qui laisse planer le risque d’un blocage à l’approche du 1er janvier 2026.
Deux procédures d’urgence pour assurer la continuité
Si les négociations échouent, l’État dispose de deux mécanismes juridiques pour maintenir son fonctionnement à compter du 1er janvier 2026. Le premier est la « loi spéciale » prévue par l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Le second est le recours à l’ordonnance, une procédure d’urgence permettant d’organiser les finances publiques lorsque le Parlement n’a pas réussi à adopter la loi de finances initiale (LFI).
La loi spéciale est conçue comme un texte minimaliste. Déposée par le gouvernement au Parlement lorsque la loi de finances ne peut être votée dans les délais, elle vise principalement à « assurer la continuité de la vie nationale et le fonctionnement régulier des services publics », formulation utilisée par le gouvernement en 2024. Concrètement, elle autorise temporairement la perception des recettes (impôts) et le recours à l’emprunt, en attendant l’adoption d’une LFI en bonne et due forme.
L’ordonnance, pour sa part, est une autre voie d’urgence. Elle permet au pouvoir exécutif de prendre des mesures normatives dans des domaines normalement réservés au Parlement. Dans le cas des finances, l’ordonnance organiserait de façon détaillée les ressources et les charges de l’État lorsque les travaux parlementaires n’ont pas abouti.
Choix politique et défi démocratique
À ce stade, l’exécutif écarte la possibilité d’utiliser l’ordonnance, qualifiée dans le texte initial de « levier encore jamais activé dans l’histoire de la Ve République ». Le simple fait d’envisager cette option alimente des critiques: certains acteurs politiques et observateurs y voient un risque de contournement du Parlement et parlent d’un possible « déni démocratique » si le gouvernement procédait sans texte voté.
La loi spéciale, moins contestable sur le plan formel, reste toutefois un dispositif exceptionnel. Elle limite la marge de manœuvre budgétaire et ne remplace pas le débat parlementaire complet sur les choix de politique publique. Son usage prolongé ou répété pourrait aussi susciter des tensions politiques, car les arbitrages essentiels (priorités de dépenses, réformes fiscales) ne seraient pas tranchés dans un cadre législatif ordinaire.
Calendrier, conséquences pratiques et points d’attention
Le calendrier demeure la clé: pour éviter la mise en œuvre d’un texte d’urgence, les parties doivent dégager un consensus suffisamment tôt pour que la LFI soit adoptée avant la fin de l’année. En l’absence de majorité stable, le recours à la loi spéciale apparaît comme la solution de substitution la plus probable et la plus conforme aux textes en vigueur.
Sur le plan pratique, l’adoption d’une loi spéciale maintiendrait la perception des recettes et le service de la dette, mais elle ne permettrait pas de lancer de nouveaux engagements pluriannuels importants ni d’opérer des réorientations budgétaires profondes. Autrement dit, elle garantit la continuité administrative sans trancher les grands choix politiques.
Enfin, la question juridique reste partiellement ouverte. Les règles encadrant ces dispositifs sont inscrites dans la LOLF; leur usage relève d’un équilibre délicat entre efficacité administrative et garanties démocratiques. Toute décision du gouvernement sera scrutée au regard de ce double impératif.
En résumé, l’impasse des discussions budgétaires expose la France à une nouvelle séquence d’urgence institutionnelle. Entre la loi spéciale — mécanisme prévu et limité — et l’ordonnance — voie plus contestée —, le choix du gouvernement déterminera non seulement le calendrier financier mais aussi le degré de confrontation politique et juridique attendue à l’entrée de l’année 2026.





