La France, longtemps perçue comme une exception démographique en Europe, semble atteinte par un tournant dont les conséquences pourraient être profondes. Alors que plusieurs pays voisins ont vu leur taux de fécondité décliner, la natalité française résistait jusqu’à récemment. Mais la dégradation des indicateurs a provoqué une série d’alertes. Mardi 2 décembre, la Cour des comptes a renforcé cette prise de conscience en publiant un rapport consacré aux effets de la démographie sur les finances publiques.
Un solde naturel qui bascule
Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France devrait afficher en 2025 un solde naturel négatif : le nombre de décès dépasserait celui des naissances. Parallèlement, le nombre moyen d’enfants par femme s’éloigne du seuil de renouvellement des générations, tandis que l’espérance de vie continue de progresser.
Les projections de l’Insee, rappelées dans le rapport, indiquent une transformation profonde de la structure par âge de la population : la part des plus de 65 ans pourrait approcher le tiers de la population en 2070. Ce vieillissement tendanciel s’inscrit donc dans la durée et ne relève pas d’un simple épisode conjoncturel.
Impacts attendus sur les comptes publics et les services
Ce changement démographique est appelé à peser lourdement sur les finances publiques. Moins d’actifs en proportion signifie moins de cotisations sociales pour financer les régimes par répartition, alors que les dépenses liées au vieillissement — santé, dépendance, retraites — sont appelées à augmenter. Le rapport souligne aussi le risque d’un affaiblissement du potentiel de croissance, lié à une main-d’œuvre disponible plus réduite.
Le secteur du soin et de la dépendance se trouve en première ligne : la demande de soins de longue durée et d’accompagnement des personnes âgées augmentera, avec des besoins humains et financiers conséquents. Ces évolutions poseront des choix de priorités budgétaires et structurelles pour les prochaines décennies.
Limites des leviers classiques : natalité et immigration
Face à ces tendances, les réponses classiques sont limitées. Le rapport de la Cour des comptes rappelle que les politiques natalistes ont rarement produit, à elles seules, un renversement durable des trajectoires démographiques. De même, l’immigration ne pourra pas, selon la Cour, compenser entièrement l’ampleur du déclin démographique attendu, même si l’apport de main-d’œuvre étrangère restera nécessaire pour répondre à certains besoins économiques.
Les décisions individuelles de faire un enfant restent multifactorielle : conditions économiques, logement, conciliation vie professionnelle‑vie privée, services de garde, emploi et perspectives de revenus influent tous sur le choix des ménages. Identifier ces freins et y répondre est utile, mais insuffisant pour garantir un retour à un solde naturel positif.
Adapter le modèle social et partager le fardeau
Faute de pouvoir inverser rapidement la tendance, la France doit préparer des adaptations. Plusieurs mesures apparaissent comme inévitables : améliorer le taux d’emploi, en particulier aux deux extrémités de la vie active, et ajuster le système de retraite par répartition, qui repose directement sur le rapport entre actifs et retraités.
La question du « partage du fardeau » entre générations se pose avec acuité. À mesure que les actifs deviennent proportionnellement moins nombreux, ils ne pourront plus supporter seuls la majeure partie du financement des dépenses sensibles au vieillissement. Cela implique des choix redistributifs et des arbitrages politiques qui auront des conséquences durables.
Début 2024, le président de la République, Emmanuel Macron, avait évoqué la nécessité d’un « réarmement démographique ». Si la formule a suscité des réactions sur la forme, elle traduisait la reconnaissance politique d’un défi de long terme. Le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a pour sa part averti : « Ne commettons pas la même erreur avec la démographie que celle que nous avons commise avec la dette publique. »
Sur le plan parlementaire, une mission sur les causes et les conséquences de la baisse de la natalité doit se réunir dès la semaine du lundi 8 décembre. Il s’agit d’un premier temps de réflexion, jusqu’ici peu présent dans les débats budgétaires, et susceptible d’alimenter les choix politiques à venir.
Le constat posé par la Cour des comptes est clair : la France entre dans une phase où la démographie pèse directement sur la soutenabilité du modèle social et sur les capacités de financement publiques. Les réponses nécessiteront des analyses rigoureuses et des arbitrages politiques à la hauteur d’un changement structurel.





