Petit par la taille mais ambitieux par l’objet, le livre de François Saint-Pierre, Un projet politique pour la justice en France (LGDJ, 114 pages, 24 euros), vise à relancer « une discussion publique et ouverte sur la finalité que l’on assigne à la justice ». L’auteur, avocat, part du constat que les fondations de l’institution judiciaire ont été modifiées « au gré des circonstances et des alternances électorales, sans jamais aboutir à une réforme profonde et d’ensemble », et appelle à une remise à plat réfléchie.
Un catalogue de 36 propositions pour repenser la justice
Le cœur de l’ouvrage tient en 36 propositions que l’auteur présente comme pédagogiques, parfois hardies, parfois consensuelles. Parmi elles, la transformation du Conseil constitutionnel en Cour constitutionnelle figure en tête. Mᵉ Saint‑Pierre soutient que cet organe est aujourd’hui une véritable juridiction et propose qu’il puisse être saisi d’un recours en inconstitutionnalité après un arrêt de la Cour de cassation ou du Conseil d’Etat. Cette évolution viserait à clarifier les voies de contrôle et, selon l’auteur, à limiter de facto le nombre de requêtes portées en dernier recours devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
La question des nominations retient également l’attention. L’auteur préconise d’écarter la nomination de droit et à vie des anciens présidents de la République au sein de cette instance. Il propose que les juges ne soient pas choisis uniquement parmi les juristes — Mᵉ Saint‑Pierre n’exclut pas a priori certains profils politiques — mais après un examen approfondi par le Sénat et l’Assemblée nationale de leurs capacités et de leur parcours professionnel.
Référendum sur les grands principes : retour du peuple, risque pour l’Europe
Autre proposition notable et controversée : soumettre au référendum « une question de société, de libertés individuelles ou publiques » déjà tranchée par la Cour constitutionnelle, la CEDH ou la Cour de justice de l’Union européenne, « mais sérieusement discutée ». Dans ce schéma, « le peuple » aurait le dernier mot, après une discussion publique. L’objectif affiché est d’ouvrir la parole démocratique sur des sujets importants, mais l’auteur lui‑même reconnaît, et l’observateur peut le relever, le risque sérieux d’ouvrir la porte aux populismes et à la démagogie.
La proposition interroge aussi le système européen de droits et principes fondamentaux. Confier au référendum national la possibilité d’infirmer ou de confirmer des décisions issues d’instances supranationales porte un risque de tensions entre l’État et les juges européens, ce qui, selon l’argumentaire, pourrait ébrécher l’architecture commune de protections.
Mesures procédurales et administration de la justice
Plusieurs propositions relèvent d’une approche procédurale et organisationnelle classique que l’auteur qualifie de « de bon sens ». Il plaide pour le rattachement de la police judiciaire au ministère de la Justice, pour une réforme des enquêtes préliminaires et pour l’interdiction pour tout le gouvernement de donner des instructions aux parquets. Ces mesures cherchent, selon l’auteur, à renforcer l’indépendance du ministère public et à clarifier les responsabilités respectives des pouvoirs exécutif et judiciaire.
Sur la politique pénale, Mᵉ Saint‑Pierre va jusqu’à proposer d’imposer aux procureurs le principe de poursuites obligatoires des auteurs de crimes ou délits, à l’instar du modèle italien. Il reconnaît implicitement le coût d’une telle règle : elle pourrait engorger durablement le ministère public et nécessiter des moyens humains et matériels importants pour être effective.
Globalement, les propositions mêlent réformes de structure — transformation d’une instance constitutionnelle, modalités de nomination — et réformes de procédure et d’organisation. L’auteur met l’accent sur la pédagogie de ses suggestions, visant à alimenter le débat public plutôt qu’à livrer un texte définitif de réforme.
Au fil de ces 114 pages, le livre se présente donc comme une boîte à idées destinée à susciter discussion et réflexion. Certaines propositions relèvent d’un pragmatisme consensuel; d’autres touchent à des équilibres constitutionnels sensibles et soulèvent des questions de risques démocratiques et européens. Sans prescription dogmatique, l’ouvrage propose un point de départ pour une remise en question qui, selon l’auteur, parait nécessaire.





