Publié chez Fayard (216 pages, 20,90 €), Le Journal d’un prisonnier est présenté comme le récit d’un homme qui estime avoir été « persécuté » pendant dix ans avant une condamnation qu’il qualifie « d’injuste ». Le livre utilise, selon son propre comptage suggéré par le style, un vocabulaire centré sur l’injustice : mots et formules du type « injuste », « impensable », « faux document », « ubuesque », « aussi injustifiée qu’inutile » reviennent de manière répétée.
Un vocabulaire centré sur l’injustice
La force stylistique du texte tient à l’insistance sur un même registre lexicale. Passer Le Journal d’un prisonnier « au compteur de mots », comme le note le propos initial, donne un résultat éloquent : le terme « injustice » et ses dérivés apparaissent plus de 80 fois. Cette répétition construit une narration qui vise à imposer une lecture unique des événements judiciaires et de la détention.
Les citations qui jalonnent l’ouvrage illustrent cette posture. Des formules comme « persécuté », « faux document » ou « ubuesque » ne sont pas présentées comme une analyse distante, mais comme des affirmations directes de l’auteur. Cela confère au récit une tonalité revendicative et militante, volontairement orientée vers l’idée d’une victime d’un système.
La comparaison à Dreyfus et la relativisation
Le livre atteint son pic rhétorique lorsqu’il met en parallèle la situation décrite et celle d’Alfred Dreyfus (1859-1935), figure historique de la condamnation à tort. L’auteur se compare au capitaine Dreyfus tout en reconnaissant une différence de durée et de lieu : il admet qu’il n’a pas été « relégué comme lui plus de quatre ans sur l’île du Diable, dans la lointaine Guyane ». Sa détention effective, note-t-il, s’est limitée à « seulement vingt et un jours à la prison de la Santé, à Paris ».
Présentée ainsi, la comparaison joue sur deux registres : l’identité symbolique d’une injustice perçue et la factuelle concession d’un traitement matériellement moins sévère que celui subi par Dreyfus. La référence historique renforce l’ambition mémorielle du texte, qui cherche à inscrire la trajectoire personnelle dans une histoire plus large des erreurs judiciaires.
Un témoignage aux visées judiciaires et politiques
Au-delà du témoignage, l’ouvrage se lit comme un outil destiné à d’autres usages. Il n’est pas décrit seulement comme un récit rédigé « à chaud » par le premier ancien président de la République française à avoir été condamné et emprisonné, mais comme une « nouvelle arme » dans un combat judiciaire qualifié de « loin d’être achevé ». Cette formulation, rapportée telle quelle dans le texte, laisse entendre que le livre vise à peser sur l’opinion publique et, potentiellement, sur des procédures à venir.
Le propos revendique aussi une ambition politique : façonner l’image historique de l’auteur. Plutôt que de laisser perdurer l’hypothèse d’un « malfaiteur », le livre ambitionne d’installer l’image d’un homme « innocent injustement détenu ». C’est une stratégie narrative qui combine portrait personnel et tentative de réhabilitation symbolique.
Lecture critique et limites du texte
Le style revendicatif et la récurrence des formules hostiles à la décision judiciaire rendent le texte efficace pour qui cherche une expression sans filtre de la colère et du ressentiment. En revanche, ces traits imposent au lecteur une vigilance critique : l’argumentation repose largement sur des jugements et des répétitions, et le recours à des accusations fortes — par exemple l’allégation d’un « faux document » — est présenté du point de vue de l’auteur plutôt que comme un fait neutre vérifié dans le corps du livre.
En somme, Le Journal d’un prisonnier se présente comme un témoignage à la fois personnel et stratégique. Il offre une narration volontiers militante, conçue pour inscrire auprès du public l’idée d’une injustice subie, tout en articulant une visée plus vaste : peser sur l’héritage judiciaire et politique de son auteur.





