Des manifestations et des barrages se multiplient dans tout le Sud-Ouest, avec notamment un blocage de Bordeaux prévu dimanche 14 décembre dans la soirée. Ces actions, menées par des éleveurs de bovins, visent à faire pression avant la venue lundi en Occitanie de la ministre de l’Agriculture, dont ils contestent la gestion de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), maladie animale non transmissible à l’homme.
Des barrages routiers et des signes de détermination
Sur l’A64, des dizaines de tracteurs ont bloqué la route depuis vendredi soir, formant une bande de protestation qui s’étend du Pays basque à l’est de Tarbes. Certains agriculteurs ont installé des sapins de Noël sur les véhicules, marque de leur volonté de durer : « On est partis pour passer les fêtes ici », a déclaré Cédric Baron, éleveur de bovins à Montoussin (Haute-Garonne), mobilisé à Carbonne, point de départ d’un précédent mouvement en janvier 2024.
À l’entrée de la rocade d’Albi, une cinquantaine d’agriculteurs bloquent la nationale N88. À Millau, une vingtaine de tracteurs ont déversé lisier, foin, pneus et ordures devant la sous-préfecture de l’Aveyron, selon un photographe de l’AFP. D’autres mobilisations sont signalées près de Montpellier ou à Saint-Jean-de-Luz, tandis que de nouveaux appels au blocage sont attendus en soirée à Bordeaux et en Dordogne.
Revendi-cations et lignes de fracture
À l’origine du mouvement, la contestation de la stratégie gouvernementale fondée sur l’abattage généralisé des bêtes des foyers affectés, et la demande d’une vaccination élargie du cheptel. Bertrand Venteau, président de la Coordination rurale, affirme : « Il y a des nouveaux blocages en cours (…) ça continue et ça se développe ». La Confédération paysanne se montre également très critique.
Les éleveurs réclament une large vaccination du cheptel — environ 16 millions de bovins en France — estimant que l’absence d’une vaccination généralisée mènera à une propagation de la maladie. « C’est maintenant que la vaccination doit se décréter, sinon on va avoir un drame dans moins d’un mois », met en garde M. Venteau.
Du côté des professionnels, la colère est vive. « Nous sommes en guerre. Tant que l’Etat ne renoncera pas à l’abattage massif, on sera là », prévient Cédric Nespoulous, producteur de bovins viande dans le Tarn. Christophe Guénon, éleveur et maraîcher bio près de Bordeaux, résume la crainte de nombreux agriculteurs : « Quand il y a une bête malade, tout le monde est d’accord pour l’abattre, mais tuer des troupeaux entiers… on est totalement contre. »
Réponses du gouvernement et arguments sanitaires
La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, soutenue sur ce dossier par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, défend le protocole en vigueur depuis l’apparition du premier cas en France, en juin en Savoie. Elle a assuré au quotidien Sud Ouest qu’il n’y avait « aucun foyer actif de DNC sur le territoire français ».
Le gouvernement combine abattage ciblé et vaccination limitée. Maud Bregeon, porte-parole du gouvernement, a défendu ce choix : « Ce n’est pas une décision politique (…) c’est une décision sanitaire qui a été concertée (…) depuis juillet dernier avec le parlement sanitaire qui comprend des vétérinaires, des éleveurs, les chambres d’agriculture, les organisations syndicales, les services de l’Etat, l’Anses. »
La porte-parole a rappelé que 3 000 bêtes ont été abattues depuis le début de la maladie, soit « 0,02 % du cheptel français », argument utilisé pour justifier la volonté de protéger le reste du cheptel. Le gouvernement met en avant aussi le risque commercial : vacciner massivement placerait le pays « comme une zone à risque » aux yeux des marchés, avec des répercussions économiques pour la filière, a expliqué Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l’industrie.
Pour répondre aux tensions, la ministre se rendra lundi en Occitanie « pour assister aux débuts de la vaccination sur ce territoire » visant environ un million de bêtes, selon les annonces officielles.
Un climat social tendu et des enjeux politiques
Les images de l’emploi de gaz lacrymogènes par les gendarmes en Ariège, lors de la dispersion d’éleveurs qui bloquaient l’accès d’un vétérinaire à une ferme touchée, ont choqué de nombreux manifestants. Ce contexte alimente l’émotion et la radicalisation de certaines actions sur les barrages.
La présidente de la région Occitanie, Carole Delga, a adressé une lettre ouverte au premier ministre Sébastien Lecornu, estimant « qu’il [était] temps pour [lui] d’intervenir afin de garantir, dans les plus brefs délais, un dialogue franc et sincère avec les agriculteurs de ce pays ». Elle évoque « l’indignation et la colère » face à la gestion gouvernementale de la crise.
Outre la gestion sanitaire, les protestations s’inscrivent dans un cadre plus large de mécontentement : accords commerciaux (Mercosur) et inquiétudes liées à la baisse annoncée du budget de la politique agricole commune européenne alimentent la mobilisation.
Le face‑à‑face entre éleveurs déterminés et autorités, marqué par des demandes opposées sur la vaccination et l’abattage, reste donc au cœur d’un conflit dont l’issue dépendra en partie des décisions sanitaires et politiques à venir, alors que la ministre doit se rendre en Occitanie lundi pour suivre le lancement d’une vaccination ciblée.





