Des corps désarticulés, ruisselants de sang, jonchent chaque jour les trottoirs des boulevards comme des ruelles : Palerme, au début des années 1980, est présentée comme une ville en guerre. La mort y est promise à quiconque se met en travers des ambitions du clan des Corleonesi, image devenue symbolique des violences mafieuses de l’époque.
Une comparaison politique saisissante
C’est dans ce registre que s’est exprimé le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, lors de l’émission de France 5 « C à Vous » du 21 novembre, lorsqu’il a déclaré : « Nous pouvons devenir le Palerme des années 1980 si nous ne nous réveillons pas. » Interrogé sur l’emprise des narcotrafiquants, il a utilisé cette métaphore forte pour alerter sur une possible montée de l’insécurité et de l’influence criminelle en France.
La référence à Palerme illustre la banalisation récente, dans le débat public français, des images et du vocabulaire associés aux mafias italiennes. Le terme « mafia », longtemps évité ou utilisé avec prudence, est devenu courant en quelques mois. Cette appropriation s’accompagne d’un imaginaire puissant, mais elle peut aussi conduire à des simplifications et à la caricature des réalités locales.
Risques d’une métaphore généralisée
Employer la « mafia » comme cadre explicatif a l’avantage d’évoquer rapidement une organisation structurée, violente et protectrice d’intérêts illégaux. En revanche, ce raccourci masque des différences importantes entre les contextes historique, culturel et juridique. Les dynamiques du crime organisé en France ne sont pas identiques à celles qui ont marqué la Sicile des années 1970–1980.
La métaphore peut aussi influer sur l’opinion publique et sur les décisions politiques. La peur symbolique d’un « retour » à l’état de guerre urbaine peut légitimer des mesures répressives ou des politiques d’urgence. À l’inverse, elle risque de détourner l’attention d’approches plus nuancées, fondées sur l’analyse des trafics, des réseaux économiques et des vulnérabilités sociales.
La définition légale italienne et son origine
La notion moderne de « mafia » en droit italien est codifiée par la loi dite Rognoni‑La Torre, votée le 13 septembre 1982. Cette loi a été intégrée à l’article 416 bis du code pénal italien et vise à encadrer juridiquement les organisations criminelles qui, par leur structure et leurs méthodes, parviennent à instaurer sur un territoire un « lien associatif » suffisamment fort pour générer l’« assujettissement » et l’« omertà ».
La portée de ce texte ne peut se comprendre sans son contexte historique. Il est indissociable du combat mené contre les puissantes familles mafieuses siciliennes et de la lutte des institutions contre l’emprise du crime organisé sur la vie civique et économique.
Le destin de Pio La Torre
La loi Rognoni‑La Torre porte le nom de Pio La Torre, député communiste palermitain et principal instigateur de l’initiative législative. Il fut assassiné, avec son chauffeur, dans la ville de Palerme le 30 avril 1982 alors qu’il se rendait au siège du parti. Sa mort, et celle d’autres militants et magistrats de l’époque, a profondément marqué le cheminement politique et judiciaire contre la mafia en Italie.
Le souvenir de ces événements explique en grande partie la force symbolique des références à Palerme et à la période concernée. Elles renvoient à une période lors de laquelle l’État italien a réagi par des réformes législatives et par une mobilisation institutionnelle soutenue.
Reste que transposer directement ce cadre italien à la situation française nécessite prudence et précision. Les comparaisons historiques et juridiques apportent des éclairages utiles, mais elles exigent d’être accompagnées d’analyses factuelles sur les réseaux, les flux financiers et les logiques locales du crime.
En l’état, la métaphore palermitaine fonctionne comme un avertissement symbolique puissant. Elle appelle toutefois à des diagnostics et des réponses adaptées aux réalités spécifiques du territoire concerné, plutôt qu’à des équivalences simplistes.





