Dépenses en vêtements de luxe, en parfums ou en articles pour enfants : depuis plus d’un an, les révélations médiatiques se succèdent à propos de frais de mandat présentés comme controversés mais légalement engagés. Ces affaires attirent l’attention, mais elles ne doivent pas masquer un problème plus large observé par notre association : l’opacité persistante qui entoure l’accès aux informations publiques.
Derrière chaque note de frais médiatisée se profile une difficulté structurelle : le refus — explicite ou silencieux — opposé par de nombreuses collectivités et administrations aux demandes d’accès. Ce phénomène entrave la transparence et limite la possibilité pour les citoyens et les journalistes d’évaluer objectivement la gestion publique.
Un droit d’accès ancien mais insuffisamment appliqué
Le droit d’accès aux documents administratifs est codifié depuis 1978 avec la création de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), chargée d’examiner, avant un éventuel recours judiciaire, si un motif de secret peut s’opposer à la communication d’un document.
La source de ce principe remonte plus loin : l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Plus récemment, le Conseil constitutionnel a reconnu en 2020 la valeur constitutionnelle de ce droit, renforçant ainsi son assise juridique.
Dans la pratique toutefois, l’obligation de répondre aux demandes rencontre des résistances. La loi prévoit qu’à défaut de réponse dans le délai fixé, le silence de l’administration vaut « refus implicite » ; en France, ce délai est d’un mois pour de nombreuses demandes. Mais la transformation de ce principe en réalité administrative reste incomplète, selon les constats recueillis sur le terrain.
Les données de la plateforme Ma Dada (madada.fr)
Les chiffres collectés par notre plateforme en ligne madada.fr illustrent cette difficulté. Sur les 3 000 demandes de notes de frais enregistrées à ce jour, une large majorité s’est heurtée à une fin de non-recevoir. Dans 75 % des cas, les administrations concernées n’ont pas répondu dans le délai, un silence juridiquement équivalent, au bout d’un mois, à un « refus implicite ». Ces données reflètent les saisines formelles effectuées par des citoyens ou des associations, et ne prétendent pas à l’exhaustivité nationale.
Ce taux élevé de non-réponse peut s’expliquer par plusieurs causes non exclusives : des motivations politiques au niveau local, une crainte de l’examen public, ou simplement l’absence de processus internes structurés pour gérer les demandes de transparence. Dans certains cas, les collectivités invoquent des motifs de secret ou des protections de données personnelles — motifs légitimes lorsqu’ils sont fondés — mais les refus non motivés ou l’absence de réponse soulèvent des questions sur la conformité aux obligations légales.
Conséquences pour l’évaluation des politiques publiques
La difficulté d’accès aux documents empêche une évaluation complète des politiques publiques. Sans visibilité sur les dépenses, les contrats ou les décisions administratives, il devient plus ardu pour les citoyens, les chercheurs ou la presse de juger de l’efficacité et de la pertinence des actions conduites dans des domaines structurants comme l’environnement, la santé ou l’éducation.
À l’approche des élections municipales, ce déficit d’information prend une dimension particulière : les électeurs ont besoin d’éléments vérifiables pour comparer les programmes et apprécier la gestion passée. L’absence de réponses aux demandes d’information limite ce débat public et fragilise la reddition des comptes.
La mise en lumière ponctuelle de factures ou de notes de frais doit donc être replacée dans ce cadre plus vaste : au-delà des affaires individuelles, c’est la capacité des institutions à rendre des comptes et à respecter le principe d’accès à l’information qui est interrogée.
La situation décrite ici repose sur les observations réunies via la plateforme madada.fr et sur les cadres juridiques rappelés ci‑dessus. Elle invite à un examen approfondi des procédures internes des administrations et à un renforcement effectif des mécanismes permettant au droit d’accès de produire ses effets concrets.





