Dans le tumulte du vote du budget, une mesure technique mais porteuse d’effets budgétaires significatifs est passée quasiment inaperçue : l’accélération de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), une revendication de longue date des organisations patronales. Présentée par ses défenseurs comme un signal en faveur de la compétitivité industrielle, cette modification, intégrée au projet de loi de finances pour 2026, appelle un examen attentif de ses implications économiques, budgétaires et territoriales.
Un allègement déjà massif depuis 2021
La réforme de 2021 avait déjà réduit la CVAE de 75 %, entraînant une perte de recettes estimée à près de 7,5 milliards d’euros par an. Cette taxe, créée en 2010 pour remplacer la taxe professionnelle, frappait une part limitée des entreprises : moins de 10 % des sociétés étaient concernées, principalement des grands groupes et des établissements de taille intermédiaire (ETI). Pour la majorité des petites et moyennes entreprises, l’incidence était marginale.
Dans ce contexte, l’annonce de l’accélération du calendrier de suppression — votée par les sénateurs le lundi 15 décembre 2025 dans le cadre du PLF 2026 — rouvre le débat sur l’efficacité et l’équité d’un choix fiscal qui pèse sur les comptes publics alors même que la maîtrise du déficit reste une priorité affichée.
Bénéficiaires sectoriels et effets mesurés
Les bénéficiaires de l’allègement ont été assez concentrés. L’industrie a capté environ 20 % de la baisse d’imposition, soit un montant représentant près du double de sa part dans la valeur ajoutée nationale. Mais cette répartition ne signifie pas que l’essentiel des gains est allé au secteur industriel : près de 80 % des économies ont profité à d’autres secteurs, parmi lesquels les activités financières et d’assurance ainsi que les producteurs d’énergie.
Cette distribution soulève une première interrogation stratégique. Dans un objectif officiel de reconquête industrielle et de création d’emplois sur le territoire, la concentration des gains hors des secteurs les plus créateurs d’emplois locaux paraît décalée par rapport aux objectifs proclamés. Les métropoles, où l’industrie est souvent moins présente, figurent parmi les territoires les plus favorisés par ces allègements, ce qui pose une question d’adéquation entre la géographie des réductions fiscales et les priorités de réindustrialisation et de revitalisation territoriale.
Par ailleurs, les évaluations réalisées depuis la première réforme indiquent peu d’effets tangibles sur l’emploi, l’investissement ou la compétitivité internationale, selon les bilans cités dans le débat public. Autrement dit, les gains fiscaux importants consentis n’ont pas produit, jusqu’à présent, de résultats économiques manifestes et proportionnés aux coûts budgétaires supportés.
Enjeux budgétaires et interrogations politiques
La suppression accélérée de la CVAE représente un manque à gagner pour les finances publiques déjà mis en évidence par la réforme de 2021. Ce contexte budgétaire soulève des questions sur la soutenabilité et la priorité accordée à cette mesure face aux autres impératifs de dépenses et de réduction du déficit.
Politiquement, la décision illustre un compromis entre promesses de compétitivité et pression des organisations patronales. Elle met également en lumière un dilemme classique : choisir des mesures fiscales ciblées sur certains contributeurs importants du tissu économique ou privilégier des dispositifs mieux ciblés sur l’emploi et l’investissement des territoires moins dotés.
Enfin, la répartition sectorielle et territoriale des bénéfices pose la question des effets redistributifs de la mesure. Favoriser massivement des acteurs peu présents dans les bassins d’emploi industriels risque d’accentuer des déséquilibres entre métropoles et zones plus rurales ou industrielles, alors même que la relance de l’industrie figure parmi les priorités affichées.
Au bilan, l’accélération de la suppression de la CVAE est loin d’être un simple ajustement technique. Elle repose sur des arbitrages lourds, avec des conséquences budgétaires immédiates et des effets économiques incertains. Les éléments disponibles jusqu’ici montrent une économie de charges conséquente pour une minorité d’entreprises, sans preuve nette d’un effet multiplicateur suffisant sur l’emploi ou l’investissement.
Reste à voir comment le Parlement, l’exécutif et les collectivités territoriales traduiront ces choix dans la mise en œuvre et la compensation éventuelle des pertes de recettes, et si des mécanismes complémentaires seront proposés pour mieux cibler les priorités de relance industrielle et territoriale.





