Dans le débat public consacré au projet de loi de finances pour 2026, une disposition est restée relativement discrète : l’article 71. Ce texte prévoit la suppression de l’Institut national de la consommation (INC) et la cession du magazine 60 millions de consommateurs à un acteur privé.
Un amendement discret aux conséquences visibles
Alors que les discussions parlementaires ont été dominées par des sujets comme la réforme des retraites et le niveau du déficit public, l’article 71 a suscité peu d’attention médiatique immédiate. Pourtant, il soulève des questions sur l’organisation des structures publiques consacrées à la protection des consommateurs et sur l’avenir d’un titre qui se présente comme dédié à l’intérêt général.
Le projet de texte ne se contente pas de modifier des modalités administratives : il organise la fermeture de l’INC et prévoit la transmission du magazine 60 millions de consommateurs à un opérateur privé. Pour ses défenseurs, cette opération relève d’une rationalisation; pour ses opposants, elle met en péril l’indépendance d’un média spécialisé.
Rôle historique de l’INC et du magazine
Depuis plus de cinquante ans, 60 millions de consommateurs est présenté comme un organe d’information et d’enquête consacré aux droits des consommateurs. Le titre et l’institut ont été impliqués, au fil des décennies, dans des investigations et des campagnes d’information qui ont donné lieu à des réactions publiques et à des évolutions réglementaires.
À titre d’exemples cités par les parties prenantes figurent : les révélations sur la présence d’hormones et d’antibiotiques dans le veau (1974), les alertes concernant des sièges auto dangereux pour bébés (1976), ainsi que des enquêtes sur les défaillances des urgences hospitalières (1992). D’autres dossiers mentionnés sont les problèmes relevés dans le collège Pailleron (1994), les signalements de maisons de retraite jugées indignes (1998), les pratiques abusives de certains syndics (2007) et la mise en lumière de pesticides dans les couches et protections périodiques (2017).
Ces références chronologiques illustrent, selon les défenseurs du titre, le rôle de « poil à gratter » que la publication a pu jouer face aux acteurs économiques et, parfois, face aux pouvoirs publics.
Indépendance, propriété et enjeux démocratiques
Un des arguments invoqués contre la cession est de nature symbolique et juridique : 60 millions de consommateurs est présenté dans le débat comme n’appartenant « ni à l’État ni à un groupe : il appartient à 68 millions de citoyens ». Cette formule vise à souligner que le magazine se revendique au service de l’intérêt général et non d’intérêts commerciaux.
La transformation d’un média public ou para‑public en propriété privée pose des questions récurrentes : garantie d’indépendance éditoriale, pérennité des enquêtes approfondies, ressources financières et protection contre des pressions économiques. Certains observateurs estiment que la cession fragiliserait un contre‑pouvoir utile à la transparence des marchés et à la défense des consommateurs.
D’autres acteurs, en revanche, avancent que le changement de statut pourrait ouvrir des perspectives de financement différentes et permettre au titre de survivre dans un paysage médiatique en mutation. Ces arguments sont avancés sans consensus clair dans le débat public.
Ce que dit le texte et ce qui reste à clarifier
Le libellé de l’article 71 organise la suppression administrative de l’INC et la cession du magazine, mais plusieurs points opérationnels restent à préciser : calendrier exact de la fermeture, modalités de cession, garanties formelles d’indépendance éditoriale pour l’acheteur, et protection des archives et des enquêtes en cours.
Face à ces incertitudes, les acteurs concernés — journalistes du titre, associations de consommateurs, parlementaires — ont demandé des éclaircissements et des garanties sur les conditions de la cession. Le débat politique et juridique autour de l’article 71 devrait donc se poursuivre au sein des commissions parlementaires et, le cas échéant, devant les juridictions compétentes si des recours sont engagés.
Qu’il soit perçu comme une simplification administrative ou comme une mise en danger d’un outil de défense collective, le sort de l’INC et de 60 millions de consommateurs illustre la tension entre rationalisation des services publics et préservation des médias spécialisés consacrés à l’intérêt général.





