Première journée d’examen : la commission corrige le gouvernement
La commission des finances de l’Assemblée nationale a terminé, lundi 20 octobre, son premier jour d’examen de la partie recettes du projet de loi de finances. Les députés n’ont pas hésité à retoucher le texte du gouvernement, parfois à l’initiative de membres de la coalition gouvernementale elle‑même.
La soirée a été marquée par le rejet, par les voix du camp gouvernemental et du Rassemblement national, d’un amendement dit « taxe Zucman ». Ces débats, qui se poursuivent de mardi matin à mercredi soir, constituent un premier tour de chauffe avant l’examen en séance publique programmé à partir de vendredi, en présence du premier ministre, Sébastien Lecornu.
La taxe Zucman rejetée en commission
L’amendement soutenu par les quatre groupes de gauche — La France insoumise, le Parti socialiste, les écologistes et les communistes — visait à instaurer un impôt minimum de 2 % sur le patrimoine des contribuables disposant d’au moins 100 millions d’euros, patrimoine professionnel inclus. Le texte concernerait 1 800 contribuables, selon les auteurs de la proposition.
« Il s’agit du ‘minimum de justice fiscale’ », a insisté le socialiste Mickaël Bouloux. Pour l’écologiste Eva Sas, « il serait insupportable de mettre à contribution les retraités, les classes moyennes, les malades, les chômeurs (…) en exonérant les plus riches ».
Le camp gouvernemental a vigoureusement critiqué le dispositif, auquel le premier ministre s’est dit opposé. Le rapporteur général Philippe Juvin (Les Républicains) a jugé la mesure défavorable aux entrepreneurs, la qualifiant de « repoussoir pour les nouveaux entrepreneurs », et estimant qu’elle pourrait « d’abord détruire les entreprises » qui mettent des années à être rentables.
Jean‑Philippe Tanguy, pour le Rassemblement national, a également accusé les auteurs de l’amendement de ne pas expliquer « comment vous n’allez pas taxer les biens professionnels » et a exprimé la crainte d’« une vague de désindustrialisation ».
En réaction, l’économiste Gabriel Zucman, identifié comme à l’origine du projet, a estimé sur X que rejeter de nouveau la mesure dans l’hémicycle reviendrait à « défendre le ‘droit’ des milliardaires à payer zéro ».
Amendements adoptés et polarisation des votes
Au total, la commission doit examiner quelque 1 400 amendements sur la partie recettes pendant trois jours. Ces débats permettent de jauger l’équilibre des forces sur des dispositions très diverses et parfois transversales.
Les députés ont approuvé la prolongation de la contribution différentielle des hauts revenus (CDHR), instaurée en 2025, qui fixe un taux minimal d’imposition de 20 % pour les ménages dont les revenus dépassent 250 000 euros par an. Un amendement du député LR Nicolas Ray a renforcé la mesure en prévoyant sa prolongation jusqu’à ce que le déficit repasse sous les 3 % du PIB.
Sur la question du gel du barème de l’impôt sur le revenu, proposé par le gouvernement, plusieurs amendements ont été déposés. Le groupe LIOT a vu adopté un amendement de Charles de Courson : seule la première tranche du barème sera indexée sur l’inflation, estimée à 1 %.
Parmi d’autres votes notables : l’amendement de Philippe Brun (Parti socialiste) visant à défiscaliser les pensions alimentaires versées pour l’entretien des enfants mineurs ; un amendement de Denis Masseglia (Renaissance) supprimant l’abattement fiscal pour les journalistes gagnant plus de 75 676 euros brut annuels ; et un amendement d’Eric Coquerel (LFI), soutenu par le RN, portant sur un principe d’impôt universel ciblant les très hauts revenus et les paradis fiscaux.
Réécritures, rétablissements et ajustements
Dans l’après‑midi, la droite a réécrit un article visant à taxer le patrimoine financier des holdings patrimoniales détenant au moins 5 millions d’euros d’actifs. La taxe prévue a été supprimée et remplacée par une taxation des holdings lors du décès de leur propriétaire, proposition portée par le LR Jean‑Didier Berger. Selon plusieurs députés, certains n’avaient pas saisi qu’il s’agissait d’« une réécriture totale » de l’article.
Des amendements déposés par la gauche ont par ailleurs été adoptés pour rétablir l’« exit tax » dans sa forme antérieure (telle qu’elle existait entre 2012 et 2019), afin de lutter contre l’évasion fiscale des entrepreneurs. Une coalition allant de la gauche au RN en passant par LR a également supprimé plusieurs mesures clivantes, dont la fiscalisation des indemnités journalières pour affection de longue durée ou l’extinction d’une réduction d’impôt liée aux frais de scolarité.
Pour coordonner les initiatives de la coalition gouvernementale, une réunion à Matignon a été programmée lundi soir entre les chefs des groupes macronistes, LR et LIOT, selon l’Agence France‑Presse (AFP), qui a relayé cette information de sources concordantes.
Calendrier et contraintes constitutionnelles
L’examen en séance plénière débutera vendredi, pour un vote solennel prévu le 4 novembre. Le calendrier parlementaire reste serré : les députés disposent d’une fenêtre constitutionnelle de soixante‑dix jours, soit jusqu’au 23 décembre, avec une promulgation attendue avant le 31 décembre. En cas de dépassement, le gouvernement pourrait recourir à des ordonnances ou à une loi spéciale.
La commission des affaires sociales examinera, à partir de jeudi, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), après l’audition des ministres mardi.
Avec un déficit public attendu à 5,4 % du PIB en 2025, le gouvernement vise un effort global d’environ 30 milliards d’euros pour 2026, combinant 14 milliards de nouveaux prélèvements et 17 milliards d’économies, pour ramener le déficit à 4,7 % du PIB, tout en acceptant un assouplissement de l’objectif jusqu’à un niveau « sous 5 % » pour faciliter les compromis.