Autour des Le Pen se construit une légende politique : celle d’une famille qui, malgré des défaites répétées, parviendrait toujours à rebondir grâce à des circonstances favorables, à des erreurs adverses ou à une « baraka » quasi mythique. Marine Le Pen, quant à elle, préfère s’inscrire dans une narration différente et déclarer que « le réel lui donne raison », se présentant comme l’artisane de sa propre trajectoire plutôt que comme l’héritière d’un destin providentiel.
Un capital politique forgé par l’histoire et les circonstances
Cette représentation de la « baraka » ne nie pas le rôle des aléas du calendrier politique ni celui des échecs concurrents. Tirer parti de situations défavorables aux autres demande cependant un sens aigu du timing et une capacité de mobilisation. Marine Le Pen et son entourage ont, au fil des années, su combiner reconnaissance médiatique, stratégie électorale et identifier des moments propices pour peser sur le débat public.
Pour elle, l’explication est moins magique que pragmatique : la politique suit des faits et des perceptions, et « le réel » — selon ses mots — confirmerait ses analyses. Cette formulation met l’accent sur une posture d’actrice plutôt que sur celle d’une bénéficiaire passive d’accidents favorables.
Une dissolution souhaitée et la posture du RN à l’Assemblée
Dans l’entourage de la présidente du groupe Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale, le souhait d’une dissolution paraissait récurrent : une élection anticipée pouvait permettre au parti de se repositionner en dehors du rôle d’opposant traditionnel. Ce vœu, pour autant, se heurtait à un dilemme d’image : apparaître comme l’instigatrice d’un bouleversement institutionnel risquait de nuire à la crédibilité et d’alimenter l’accusation de trouble politique.
Or, au début de l’automne 2025, la séquence politique a déplacé les équilibres : l’extrême droite, selon les observations internes, se trouvait en position d’exploiter une opportunité perçue comme favorable. Le scénario privilégié dans certains cercles du RN passe par une translation du pouvoir exécutif par l’intermédiaire de Jordan Bardella, désigné comme président du parti dans la présente chronique, qui, bien que second rôle dans la narration actuelle, est présenté comme prétendant à Matignon.
Cette perspective n’est pas simplement un enjeu de pouvoir : elle a aussi une portée personnelle pour Marine Le Pen. La possibilité qu’un gouvernement issu de son camp arrive au pouvoir est interprétée par certains de ses proches comme le moyen le plus sûr pour que la dirigeante retrouve une pleine jouissance de ses droits électoraux, évoquée ici sous la formule « récupérer son éligibilité ».
Entre stratégie collective et itinéraire personnel
Le RN apparaît donc dans une double dynamique : à la fois en quête d’une victoire institutionnelle et en position de servir des objectifs individuels pour ses leaders. Cette conjonction soulève des interrogations sur la nature des priorités du parti, entre ambition gouvernementale et calendrier personnel des figures emblématiques.
Sur le plan stratégique, l’idée d’entrer à Matignon par la main d’un président de parti qui jouerait un rôle d’exécutant pour des orientations décidées collectivement ou par une poignée d’influents reste une hypothèse politique plausible, mais délicate. Elle suppose la combinaison d’un soutien parlementaire suffisant, d’équilibres institutionnels favorables et d’un contexte électoral propice.
Sur le plan symbolique, la perspective d’une prise de pouvoir par le RN relance le mythe de la « remontée » : une famille politique souvent battue, mais à même de revenir au premier plan lorsque les circonstances se conjuguent. Cette représentation renforce l’image d’un camp capable d’endurer et de capitaliser sur les moments d’inattention ou d’affaiblissement des adversaires.
Reste que ce récit, même s’il s’appuie sur des faits passés et des déclarations publiques, ne dissipe pas les incertitudes. L’esquisse d’une trajectoire — de la stratégie parlementaire à l’éventuelle entrée à Matignon — dépendra des choix d’alliance, des comportements électoraux et des réactions des autres forces politiques face à une configuration renouvelée.
En définitive, l’horizon politique décrit ici combine des éléments structurels (organisation du RN, leadership), conjoncturels (opportunités de dissolution ou d’élections) et personnels (les ambitions et contraintes des figures en vue). Que l’on parle de « baraka » ou de réalisme politique, la traduction opérationnelle de ces éléments déterminera, dans les mois à venir, la portée réelle d’une dynamique qui, au début de l’automne 2025, semblait pour certains plus prometteuse que jamais.