Un projet de recalcul resté confidentiel et rapidement suspendu
La récente polémique autour d’une modification de la taxe foncière a mis en lumière une tentative de révision en coulisses du principal impôt pesant sur le patrimoine. Le ministère de l’économie avait préparé, en toute discrétion, une révision de la base de calcul de la taxe foncière — une modification qui aurait pu alourdir la facture pour « des millions de propriétaires », selon les termes du débat public.
Le tollé suscité par ces fuites a entraîné un revirement rapide du gouvernement. « J’ai demandé aux ministres concernés de dilater », a déclaré Sébastien Lecornu le 26 novembre. La hausse envisagée a été suspendue jusqu’en « mai ou juin », le temps de revoir le projet et d’en clarifier les modalités.
Pourquoi une réforme paraît justifiée sur le papier
Plusieurs éléments expliquent pourquoi une refonte de la taxe foncière est présentée comme nécessaire par certains observateurs. D’une part, la base de calcul utilisée est jugée obsolète : elle ne rend pas compte des évolutions du marché immobilier et des transformations structurelles du parc bâti. D’autre part, la taxe est considérée comme devenue régressive, c’est‑à‑dire qu’elle pèserait proportionnellement davantage sur les petits propriétaires que sur les plus aisés.
Sur le plan technique, ces constats justifient une modernisation des paramètres de calcul afin d’améliorer l’équité et la pertinence économique de l’impôt. Sur le plan politique, en revanche, toucher à la fiscalité du patrimoine reste délicat, tant le sujet est sensible pour un grand nombre d’électeurs et d’acteurs économiques.
Le constat détaillé du Conseil des prélèvements obligatoires
La question de la taxe foncière s’inscrit dans un diagnostic plus large rendu public par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Dans son rapport publié le lundi 1er décembre, le CPO juge l’imposition du patrimoine à la fois « complexe », « inégalitaire », « source de distorsions économiques » et « peu efficace au regard des objectifs de politique publique ».
Institution indépendante associée à la Cour des comptes, le CPO est composé de magistrats, de hauts fonctionnaires et de personnalités qualifiées. Son rapport, qualifié de « très riche » dans les comptes rendus, ne se contente pas de critiquer les dispositifs existants : il formule aussi des recommandations, en commençant par une refonte des impôts sur les transmissions (successions, donations, etc.).
Enjeux politiques et économiques d’une remise à plat
La mise à jour des assiettes fiscales et la révision des mécanismes d’imposition du patrimoine soulèvent des questions croisées : justice fiscale, efficacité économique et acceptabilité politique. Une taxe qui paraît obsolète et régressive pose un problème d’équité, surtout si elle frappe des ménages modestes propriétaires d’un petit logement. Mais toute correction perçue comme une hausse se heurte immédiatement à l’opposition publique et politique.
Le report annoncé par le gouvernement montre la difficulté d’articuler l’exigence technique d’une réforme et la contrainte politique d’une mise en œuvre socialement supportable. Entre la nécessité d’aligner la fiscalité sur les réalités contemporaines et la crainte d’un impact électoral négatif, l’exécutif a choisi pour l’instant la prudence.
Perspectives : repenser la fiscalité du patrimoine
Le rapport du CPO plaide pour une approche plus globale : la taxe foncière n’est qu’un élément d’un système fiscal sur le patrimoine qui, selon l’institution, nécessite une remise à plat. La refonte des droits de transmission est avancée comme un point de départ ; d’autres ajustements, non détaillés dans les extraits publics, pourraient porter sur les exemptions, les abattements et les mécanismes de valorisation des bases.
Au-delà des recommandations techniques, la conduite d’une réforme exige une stratégie de communication et des mesures d’accompagnement pour protéger les plus vulnérables. Le calendrier renvoyé à « mai ou juin » laisse au gouvernement quelques mois pour mener consultations, simulations et arbitrages.
La controverse autour de la proposition initiale illustre l’équation toujours délicate pour les pouvoirs publics : moderniser la fiscalité du patrimoine sans provoquer de rupture sociale ou politique. Les conclusions du CPO fournissent un cadre d’analyse et des pistes, mais leur traduction en politique publique reste à définir et à accepter collectivement.





