Sans grande surprise, Gérald Darmanin a été reconduit comme garde des sceaux au sein du gouvernement Lecornu. Cette décision suscite des réserves chez des observateurs et des acteurs du monde judiciaire, qui estiment qu’elle confie une nouvelle fois à un ministre associé à une ligne pénale très ferme la direction d’un ministère dont la mission première est de garantir l’équilibre entre sécurité, droits et réinsertion.
Un bilan public déjà controversé
Le précédent passage de M. Darmanin à la tête du ministère de la Justice, installé Place Vendôme, avait déjà donné lieu à des prises de position et à des formulations jugées polémique par certains. Parmi les exemples souvent cités figure sa déclaration, rapportée par RTL le 10 septembre, selon laquelle il fallait construire « quatre nouveaux établissements de haute sécurité pour qu’une prison ressemble à une prison ». Cette formule a été interprétée par des détracteurs comme un signe d’une approche prioritairement répressive.
Les critiques soulignent que ce type de propos occulte la réalité matérielle du parc carcéral français et les problématiques qui y sont attachées : surpopulation, conditions de détention, souffrances psychologiques liées à l’isolement et nécessité effective de dispositifs de prise en charge et de réinsertion. Pour ses détracteurs, l’argument de la fermeté sert parfois de geste symbolique plus que de réponse aux besoins opérationnels et humains des établissements pénitentiaires.
La prison, entre politique et communication
Plusieurs observateurs estiment que la prison est devenue un instrument de communication politique. Dans ce registre, l’affichage d’autorité — par des annonces spectaculaires ou des mesures symboliques — peut primer sur l’évaluation fine de leur efficacité sur la sécurité et la prévention de la récidive.
Des décisions évoquées par les opposants incluent l’interdiction de certaines activités dites « ludiques », des campagnes d’expulsion d’étrangers détenus et la transformation, sous un nouveau libellé, de quartiers qualifiés de haute sécurité en « quartiers de lutte contre la criminalité organisée ». Ces choix sont critiqués par ceux qui y voient une tendance à privilégier des réponses punitives plutôt que des politiques centrées sur la réinsertion et la prévention.
La sémantique employée — invoquer le « bon sens » ou la fermeté — participe, selon ces critiques, d’un registre démagogique. Ils lui reprochent surtout de laisser peu de place à des discussions approfondies sur la pertinence et la mise en œuvre concrète des mesures annoncées, ainsi qu’à l’évaluation de leurs conséquences sur les droits des personnes détenues et sur la sécurité collective.
Conséquences perçues et enjeux institutionnels
Aux yeux de certains magistrats, avocats et associations, cette orientation politique alimente une défiance croissante envers l’institution judiciaire. Ils estiment qu’une préférence marquée pour la sévérité peut creuser des fractures sociales que le système judiciaire devrait, au contraire, contribuer à atténuer par des politiques de prévention, d’accompagnement et de réinsertion.
Les mêmes acteurs rappellent que la politique pénitentiaire ne se limite pas à la construction d’établissements ou à la répression : elle inclut aussi la formation des personnels, l’accès aux soins, les programmes de juste réinsertion et des réponses adaptées aux populations vulnérables. Pour eux, l’efficience d’une politique pénale se mesure davantage à sa capacité à réduire la récidive et à favoriser la réintégration qu’à la seule intensité de la contrainte.
Du côté du gouvernement et des soutiens du ministre, la priorité affichée reste la protection des citoyens et la lutte contre la délinquance organisée, assortie d’une volonté de renforcer les moyens de l’État. Les partisans de cette ligne estiment qu’un discours ferme répond à une attente de sécurité d’une portion de l’opinion publique.
La reconduction de M. Darmanin relance donc un débat ancien et sensible : comment concilier exigence de sécurité, respect des droits fondamentaux et efficacité des politiques pénales et pénitentiaires ? Les réponses attendues relèvent à la fois de choix politiques, de décisions budgétaires et d’évaluations objectives de mesures passées.
En l’état, les critiques formulées portent autant sur le fond des décisions que sur leur tonalité. Elles invitent à une réflexion sur la place de la prison dans la société et sur les moyens concrets de répondre aux enjeux de sécurité sans négliger la dimension humaine et la finalité de réinsertion qui sous-tend, théoriquement, le droit pénitentiaire.