Analyse synthétique des attentes des marchés
Alexandre Stott, économiste chargé de suivre la France et l’Europe pour la banque américaine Goldman Sachs, livre pour Le Monde une lecture prudente des ambitions budgétaires du nouveau gouvernement dirigé par Sébastien Lecornu. Selon lui, les investisseurs internationaux et une large partie de la communauté économique restent sceptiques sur la capacité de Paris à atteindre les objectifs de déficit affichés.
Plutôt que d’atteindre les 4,6 % ou 4,7 % du PIB avancés respectivement par François Bayrou et par son successeur, les marchés tablent sur un déficit proche de 5 % du PIB en 2026. Cette estimation traduit l’idée que les annonces initiales visent parfois à établir une marge de négociation : on promet un effort substantiel, rarement vu en France, puis on relâche la pression au fil des compromis politiques.
Une incertitude fortement liée aux négociations politiques
Le devenir du budget dépendra largement des tractations parlementaires et des concessions exigées pour obtenir une majorité. Les questions posées par M. Stott résument les scénarios possibles : Sébastien Lecornu parviendra-t-il à faire adopter un budget en ne concédant que des mesures limitées ? Sera-t-il contraint à des gestes budgétaires beaucoup plus forts ? Risque-t-il une motion de censure à l’Assemblée nationale ?
Cette incertitude nourrit une crainte principale chez les investisseurs : l’émergence d’un compromis politique coûteux en termes budgétaires, aboutissant à une baisse limitée du déficit. Le scénario redouté est celui où l’exécutif, afin d’obtenir le soutien des partis de gauche — notamment les socialistes —, suspendrait ou affaiblirait la réforme des retraites. Pour les marchés, l’abandon ou l’assouplissement de cette réforme pèserait davantage sur les perspectives de finances publiques que d’autres mesures proposées, comme une taxe sur le patrimoine conçue par Gabriel Zucman et ses partisans.
La situation structurelle : déficit primaire et dette
Sur le plan des comptes publics, la France figure parmi les pays comparables avec les niveaux de déficit les plus élevés. La difficulté est plus nette encore quand on examine le déficit primaire — c’est-à-dire le solde public hors charges d’intérêts annuelles liées à la dette. La France enregistre un déficit primaire de manière continue depuis 2002 ; selon l’analyse citée par M. Stott, ce déficit s’est plutôt accentué au fil des années et devrait se situer autour de 3 % du PIB en 2025.
Or, pour stabiliser puis réduire le ratio dette/PIB, il faudrait obtenir un excédent primaire compris entre 0,5 % et 1 % du PIB, rappelle l’économiste. L’écart entre la position actuelle (déficit primaire) et cet objectif traduit l’ampleur de l’effort nécessaire.
Quel niveau d’effort budgétaire est requis ?
Autrement dit, pour rapprocher durablement les comptes publics des trajectoires nécessaires à la stabilisation de la dette, il faudrait dégager un effort budgétaire de l’ordre de 4 % du PIB. Traduction chiffrée : cet effort représente environ 120 milliards d’euros. Sur ce point, « la plupart des économistes » évoqués dans l’article convergent sur l’ordre de grandeur requis, même si la composition de l’effort (hausses de recettes, réductions de dépenses, réformes structurelles) fait l’objet de débats.
Ce diagnostic explique pourquoi les marchés surveillent étroitement non seulement le niveau annoncé du déficit mais aussi la trajectoire politique qui l’accompagnera. Une trajectoire marquée par des compromis financés par de nouvelles dépenses ou par le report de réformes structurelles risquerait d’alourdir davantage la dette publique à moyen terme.
Dans ce contexte, la question budgétaire française est perçue comme celle d’un pays « en situation délicate » : un déséquilibre structurel couplé à une configuration politique qui complique la mise en œuvre des corrections jugées nécessaires.
Sans préconisations, l’analyse de M. Stott souligne la tension centrale entre ambitions affichées et contraintes réelles — techniques et politiques — qui façonneront l’évolution des comptes publics français dans les prochains exercices budgétaires.