La suspension du report de l’âge normal de liquidation des retraites concentre l’attention médiatique, mais elle masque une réforme moins visible glissée dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 : un durcissement important du cumul emploi‑retraite, c’est‑à‑dire la possibilité de poursuivre ou de reprendre une activité professionnelle tout en percevant simultanément une pension de retraite et un revenu d’activité.
Une estimation incertaine du phénomène
Le nombre de personnes en cumul emploi‑retraite est difficile à chiffrer précisément. Les régimes de retraite peinent à suivre en temps réel les reprises d’activité lorsqu’un retraité exerce dans un autre régime — l’exemple cité est celui d’une ancienne ouvrière qui vend des créations artisanales en tant qu’autoentrepreneuse.
L’enquête Emploi recensait un peu plus de 600 000 personnes en cumul en 2023. Toutefois, des travaux récents de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) font apparaître une forte sous‑déclaration de ces activités par les retraités et suggèrent que l’effectif réel pourrait s’approcher plutôt du million.
Un changement de cap par rapport à 2023
Le cumul emploi‑retraite avait été aménagé à chaque réforme des retraites. La réforme de 2023 a notamment introduit une mesure dite de « recharge » : l’activité professionnelle exercée pendant la retraite pouvait donner lieu à une « recharge » de droits à pension, ce qui favorisait la reprise d’activité.
Deux ans plus tard, le gouvernement propose un virage à 180 degrés. Selon les dispositions envisagées dans le PLFSS 2026, les nouveaux retraités se situant entre l’âge légal et 67 ans se verraient appliquer un écrêtement important de leur pension lorsque leurs revenus d’activité dépasseront un seuil. Concrètement, au‑delà de 7 000 euros annuels, la pension serait réduite d’un euro pour deux euros de revenu d’activité.
Par ailleurs, les personnes ouvrant droit à un départ anticipé pour carrière longue seraient touchées plus sévèrement : l’écrêtement serait de 100 % dès le premier euro, entraînant en pratique l’impossibilité de cumuler salaire et pension.
Le projet prévoit toutefois des exceptions très limitées. À titre d’exemple, un ancien magistrat de la Cour des comptes pourrait continuer à percevoir, sans limite, des revenus d’activités juridictionnelles vacataires.
La Cour des comptes au cœur du débat
Le gouvernement a repris à la lettre les propositions du rapport 2025 sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale rédigé par la Cour des comptes. Ces recommandations visent, selon les auteurs, à réaliser des économies pour les régimes sociaux.
La Cour des comptes avance trois lignes argumentaires pour fonder ses préconisations. Le texte original mentionne ces trois axes mais ne détaille pas ici leur contenu ; ils constituent la base intellectuelle des ajustements proposés par l’exécutif.
Conséquences attendues et incertitudes
Si les dispositions envisagées sont adoptées, plusieurs effets sont à prévoir, sans que l’on puisse, sur la seule base de l’exposé initial, en quantifier précisément l’ampleur. D’une part, le freinage attendu du cumul emploi‑retraite devrait réduire le nombre de retraités exerçant une activité rémunérée, en particulier parmi ceux qui perçoivent un salaire modeste en complément de leur pension.
D’autre part, la mesure risque d’affecter la trajectoire financière des personnes qui dépendent d’un revenu d’activité pour compléter leur pension et pourrait alléger les dépenses des caisses de retraite. Les auteurs du rapport et le gouvernement inscrivent ces changements dans un objectif d’économie globale.
Reste que l’évaluation précise des gains budgétaires et des effets sociaux dépendra des arbitrages finaux et des modalités d’application retenues dans le PLFSS.
Les difficultés statistiques déjà évoquées — sous‑déclaration des activités, fragmentation des données entre régimes — compliquent l’anticipation des impacts réels. Sans suivi harmonisé des parcours, il restera délicat d’estimer combien de personnes seront directement concernées et dans quelle proportion leurs revenus de retraite seront affectés.
En l’état, le débat porte autant sur la logique financière qui motive ces propositions que sur leurs conséquences sociales et professionnelles pour les retraités qui souhaitent ou doivent continuer à travailler. Le texte renvoyé au Parlement mettra ces points au cœur des discussions législatives à venir.





