Le gouvernement a annoncé, en conseil des ministres jeudi 23 octobre, la suspension de la réforme des retraites dans le projet de budget de la Sécurité sociale pour 2026. Cette décision a immédiatement suscité des critiques vives de la part des syndicats et des forces d’opposition, qui contestent surtout le mode de financement retenu, mettant à contribution complémentaires santé et retraités actuels et futurs.
Les mesures de financement annoncées
Pour compenser financièrement la suspension votée en 2023, l’exécutif a détaillé plusieurs mesures. La sous-indexation des pensions par rapport à l’inflation, initialement fixée à 0,4 point, sera augmentée de 0,5 point en 2027 — soit une sous-indexation portée à 0,9 point. Pour cette année-là, le gouvernement table sur une inflation (hors tabac) de 1,75 %.
Par ailleurs, le taux de contribution des organismes complémentaires (mutuelles et assurances santé) passera de 2,05 % à 2,25 % en 2026. Ces deux leviers constituent le cœur du dispositif présenté pour équilibrer le coût de la suspension.
Réactions syndicales: colère et incompréhension
Les organisations de salariés ont dénoncé une charge transférée sur les personnes les plus fragiles. « Il n’est pas possible que la désindexation des pensions prévoie quasiment deux années blanches pour les retraités en 2026 et 2027. Les plus modestes ne peuvent supporter une telle mesure », a réagi Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la CFDT, auprès de l’Agence France‑Presse.
Denis Gravouil, secrétaire confédéral de la CGT, a estimé qu’« on fait payer une microsuspension de la réforme aux retraités actuels et futurs ». Rémi Servot, de l’Association nationale des retraités (ANR), a pour sa part qualifié le projet de financement d’« assez scandaleux ».
Positions politiques: critiques à gauche et à l’extrême droite
À gauche, La France insoumise (LFI) a dénoncé « un jeu de dupes ». Éric Coquerel, président de la commission des finances, a pointé que « les retraités partiront trois mois avant mais avec une retraite plus faible ». LFI a aussi critiqué le Parti socialiste, accusé d’avoir privilégié la non‑censure immédiate du gouvernement contre la promesse d’une suspension de la réforme Borne. Manuel Bompard, coordinateur du mouvement, a ironiquement salué la position du PS sur le réseau X : « Bravo le PS ! ».
La présidente du groupe écologiste et social, Cyrielle Chatelain, a interrogé l’intention politique: « Quel est l’objectif derrière ça ? », ajoutant que le gouvernement rendrait « ce report finalement insupportable ».
Le Rassemblement national (RN), qui se dit également favorable à la suspension, a dénoncé le ciblage des mêmes catégories sociales. Marine Le Pen, présidente des députés RN, a déclaré depuis l’Assemblée nationale: « Ils tapent toujours sur les mêmes. Et en l’occurrence, évidemment, les retraités sont assez lourdement frappés par ce budget ». Elle a aussi interrogé la cohérence des votes des autres groupes: « La question c’est comment le PS va voter ça ? Comment les LR vont voter ça ? » sans préciser la position de son propre groupe vis‑à‑vis d’une éventuelle abstention sur le PLFSS.
Contexte politique et calendrier parlementaire
Le geste de l’exécutif intervient dans un climat déjà tendu. Mardi, depuis la Slovénie, le chef de l’État Emmanuel Macron avait semé le doute en déclarant que la réforme n’était ni « abrogée » ni « suspendue », formule qui a pu paraître susceptible d’affaiblir le Premier ministre. L’entourage du président a ensuite nié tout conflit public entre les deux têtes de l’exécutif, précisant qu’il s’agissait d’un constat sur l’impossibilité de suspendre la réforme « ad vitam » au regard des besoins de financement du système.
Matignon, dans un communiqué, a salué un « gage de clarté et de transparence [dont] l’inscription dans le texte initial », ajoutant que cette démarche vise « à garantir la tenue d’un débat parlementaire loyal et sincère ». L’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) doit débuter lundi au Parlement.
Sur le plan budgétaire, le projet de Sébastien Lecornu reporte dans le temps l’application de la réforme dite Borne (2023). Il suspend jusqu’en janvier 2028 la progression vers l’âge légal de départ à 64 ans, ainsi que le relèvement du nombre de trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein. Selon une lettre rectificative dévoilée mercredi par le quotidien Les Echos, et dont Le Monde a obtenu copie, cette suspension coûtera 100 millions d’euros en 2026 et 1,4 milliard d’euros en 2027.
Les critiques des syndicats et des partis illustrent un débat public focalisé sur la répartition des efforts financiers. Le texte arrive désormais au Parlement, où les arbitrages politiques et financiers seront mis à l’épreuve lors des débats à venir.