Nous l’avons rencontrée fin septembre dans son bureau — précaution journalistique, pas de bistrot — à un moment où son positionnement ministériel était fragile : démissionnaire, entre « la chute de Bayrou » et la nomination de Lecornu I. Le contraste avec une ministre en exercice n’était pas flagrant. Aujourd’hui, Rachida Dati apparaît déjà au sein de son cinquième gouvernement en dix-huit mois. Cette fréquence de remaniements marque son parcours mais ne dit pas tout de son rôle public.
Un parcours ministériel atypique
La succession rapide de gouvernements au cours des derniers dix-huit mois place Dati dans une position singulière : formellement proche du pouvoir mais souvent sujette à des inflexions politiques. Son image publique mêle stabilité apparente et statut instable. Le bureau doré de la rue de Valois, avec vue sur le Palais-Royal et les colonnes de Buren, reste symbolique d’une fonction traditionnelle — celle de ministre de la culture — mais la manière dont elle exerce ce portefeuille diffère nettement de ses prédécesseurs.
Au lieu du profil classique du « gestionnaire craintif » face aux créateurs, Dati semble inverser la relation. Là où d’autres ministres transpireraient à l’idée d’un tollé au Festival d’Avignon, d’une cérémonie des Césars houleuse, d’une grève des intermittents ou d’une critique d’une star de cinéma, elle donne l’impression de moins se laisser impressionner.
Tensions avec le monde culturel
La fracture avec une partie du milieu culturel est patente, et les motifs sont multiples. Ses prises de position sur l’audiovisuel public, perçues comme favorables à une privatisation, suscitent des inquiétudes chez des acteurs du secteur. Parallèlement, ses démêlés judiciaires et les actions en justice qu’elle intente contre la presse alimentent des controverses : elle défend la liberté d’expression tout en poursuivant des journaux, un contraste qui alimente le débat public.
Interrogés en privé, certains professionnels du spectacle expriment un ressentiment qui, publiquement, reste souvent tempéré pour ne pas compromettre des subventions dans un contexte économique tendu. Les sobriquets ne manquent pas : incompétente, démagogue, populiste, menteuse, voire « en voie de trumpisation », selon les formules rapportées. Ces qualificatifs résument moins une analyse politique détaillée qu’une hostilité viscérale, alimentée par des décisions et des postures jugées provocantes par une part du secteur.
Le rapport entre un ministre et les créateurs est traditionnellement fait d’équilibre : défense des industries culturelles, arbitrage budgétaire et dialogue artistique. Dans ce cadre, la posture de Dati brouille les repères habituels et nourrit une défiance qui s’exprime autant dans les coulisses que dans la presse.
Image publique et enjeux politiques
Outre les conflits avec le monde culturel, son rapport au parti Les Républicains et sa communication publique constituent d’autres sources de tension. Des friction internes au parti sont évoquées, sans que l’entretien lui-même n’apporte de précisions chiffrées ou de nouvelles allégations. De même, sa campagne pour la mairie de Paris — qu’elle pourrait conduire sans quitter son maroquin, une possibilité permise mais susceptible de provoquer l’indignation — ajoute une dimension électorale à son exercice ministériel.
Ce mélange d’activité gouvernementale et d’ambitions municipales renforce la perception d’une ministre aux contours mouvants : investie dans son portefeuille tout en cultivant une visibilité politique personnelle. Pour ses détracteurs, cette double posture alimente les critiques ; pour ses partisans, elle peut apparaître comme une capacité à maintenir un ancrage local tout en restant présente au niveau national.
Le portrait qui se dessine est celui d’une personnalité publique éprouvante pour certains et résiliente pour d’autres. La référence cinématographique rapportée par ses détracteurs — la phrase de Maurice Pialat après la Palme d’or 1987 pour Sous le soleil de Satan : « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. » — illustre l’idée d’une relation conflictuelle mais assumée entre un créateur (ou, par analogie, un ministre) et son public critique. Chez Dati, cette posture semble moins adapter la langue au compromis qu’affirmer une ligne.
Sans trancher sur la légitimité de ces jugements, l’observation reste factuelle : l’exercice de ses fonctions provoque des réactions vives et durables. À la fois dans la rue de Valois et au-delà, son action culturelle et politique continuera vraisemblablement de diviser, alors que s’inscrivent derrière ces divisions des enjeux budgétaires, institutionnels et électoraux.