S e passer de toute référence à l’âge — et ne tenir compte que du nombre d’années de cotisations — figure parmi les pistes proposées pour sortir des impasses où se trouve la réforme des retraites. Mais cette option est-elle réaliste et équitable dans le cadre du système actuel ?
Les deux rôles de l’âge dans le système de retraite
L’âge joue aujourd’hui un double rôle institutionnel. D’abord, il fixe la date d’ouverture des droits : en-deçà d’un certain âge, il est impossible de liquider sa pension. Ensuite, il intervient, conjointement avec la durée de cotisation, dans le calcul du montant de la pension.
Sur ce second point, deux mécanismes opposés existent : la décote et la surcote. Le taux plein est acquis si l’assuré a suffisamment d’années de cotisation ou s’il atteint l’âge de 67 ans. À l’inverse, partir avant ces repères se traduit généralement par une pension diminuée (décote), tandis qu’un départ tardif peut conduire à une majoration (surcote).
Remettre en cause l’un ou l’autre de ces rôles soulève des choix de principe. Supprimer l’âge comme seuil légal reviendrait à confier uniquement à la durée de cotisation le pouvoir d’ouvrir et d’ajuster les droits. Cela soulève des questions d’équilibre financier et d’égalité entre assurés.
Progressivité et équité : pourquoi la date de départ importe
La progressivité du montant de la pension selon l’âge de départ se justifie autant par des considérations financières que par des principes d’équité. Un départ anticipé d’une année représente, économiquement, une année de cotisations en moins pour le régime et une année de pension en plus en dépenses. Pour préserver l’équilibre financier, la conséquence logique est une pension plus faible pour les départs précoces.
Sur le plan de l’équité, cette modulation vise à traiter de manière comparable des individus aux mêmes caractéristiques qui choisissent librement leur date de départ. Autrement dit, si deux personnes ont versé des cotisations identiques mais décident de partir à des âges différents, la progressivité cherche à refléter ce choix dans le niveau de pension.
La logique peut être ensuite renforcée si l’on étend l’analyse aux finances publiques : une année d’anticipation réduit aussi l’activité économique, donc les recettes fiscales et sociales disponibles pour financer l’ensemble des services publics, pas seulement les retraites. La progressivité peut ainsi jouer un rôle de tampon macroéconomique.
Durée de cotisation : un critère central mais imparfait
La durée de cotisation est au cœur du système actuel : elle traduit l’effort contributif d’une carrière. Plus on a cotisé longtemps, plus la pension augmente. Toutefois, la relation n’est pas strictement proportionnelle. Historiquement, on a accordé une augmentation de pension plus que proportionnelle aux carrières longues, partant de l’idée que ces carrières correspondaient à des espérances de vie plus faibles.
Cette hypothèse mérite d’être questionnée. Des études et observations montrent que les espérances de vie les plus faibles se retrouvent souvent parmi des personnes ayant des carrières discontinues ou un accès à l’emploi difficile. Autrement dit, ce sont parfois ceux qui ont cotisé le moins régulièrement qui présentent la plus faible espérance de vie.
En pratique, le critère de la durée ne profite donc pas forcément aux individus les plus vulnérables. Accorder automatiquement une pension supérieure à la durée cotisée sans tenir compte des inégalités de longévité peut creuser des disparités, et produire des effets contraires à l’objectif de justice sociale.
Vers des combinaisons possibles : âge, durée et espérance de vie
Admettre le principe de progressivité n’empêche pas de concevoir des modalités variées. On peut l’appliquer par des combinaisons de critères : durée de cotisation, âge et, potentiellement, des indicateurs liés à l’espérance de vie. Chacun de ces leviers a des effets différents sur l’équité et sur la soutenabilité financière.
Toute combinaison pose cependant des difficultés pratiques et éthiques. Prendre en compte l’espérance de vie individuelle, par exemple, soulève des questions de discrimination et de faisabilité administrative. Se reposer uniquement sur la durée de cotisation risque d’ignorer des inégalités structurelles de santé et d’accès à l’emploi.
La discussion sur la suppression de l’âge comme référence met en lumière des arbitrages incontournables : concilier soutenabilité financière, équité entre générations et entre catégories socio-professionnelles, et simplicité administrative. Ces enjeux expliquent pourquoi la réforme des retraites reste un sujet complexe, où chaque option implique des conséquences directes sur le niveau des pensions et sur la répartition des efforts.





