Concession politique : une suspension pour sauver le gouvernement
Pour préserver son exécutif, le premier ministre Sébastien Lecornu a annoncé la suspension pendant un an de la réforme des retraites « jusqu’à l’élection présidentielle » de 2027. Cette déclaration de politique générale a été faite mardi 14 octobre et a immédiatement été saluée par le Parti socialiste (PS), qui a qualifié la mesure de « victoire » et s’est engagé à ne pas voter les deux motions de censure examinées jeudi 16 octobre dans l’hémicycle.
La suspension n’équivaut pas à une abrogation : il s’agit de la première concession importante consentie depuis l’adoption de la réforme en avril 2023. Concrètement, la mise en pause porte sur le relèvement progressif de l’âge légal de départ, prévu initialement de 62 à 64 ans.
Contexte et objectifs de la réforme
La réforme dite « Borne » de 2023 visait à préserver le système de retraite par répartition, où les actifs financent les pensions des retraités. Le texte rappelait que la population active était estimée à 31 millions de personnes en 2023, face à 17,2 millions de retraités.
Deux changements majeurs figuraient dans la réforme : le relèvement de l’âge légal de départ et la durée de cotisation, ainsi que la disparition progressive de plusieurs régimes dits « spéciaux », accompagnée de dispositions ciblées pour certaines catégories de travailleurs.
La mise en œuvre reste progressive et s’étend théoriquement jusqu’en 2030. À ce jour, l’âge légal de départ atteint 62 ans et neuf mois, tandis que la durée de cotisation est de 42 ans et demi, soit 170 trimestres.
Modalités parlementaires et calendrier
Lecornu a précisé, lors de la session de questions au gouvernement mercredi 15 octobre, vouloir inscrire la suspension par un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Il a annoncé le dépôt de cet amendement « en novembre ». Pour qu’elle entre en vigueur, la suspension doit être adoptée par le Parlement.
Le premier ministre a lié la faisabilité de la mesure à l’existence d’« élément[s] de recettes en face » : sans financement identifié, la suspension ne pourrait être votée. Par cette prise de position, il met la pression sur les oppositions : refuser d’adopter le budget rendrait impossible la mise en pause.
Le gouvernement peut aussi choisir d’inscrire la suspension dans une loi distincte. Ce scénario ouvre plusieurs issues politiques : soumise avant le vote du budget, la suspension permettrait à l’opposition d’obtenir la pause tout en rejetant le PLFSS ; déposée après, elle garantirait le budget au gouvernement, qui pourrait ensuite décider de ne pas déposer la loi. Comme le résume l’économiste Michaël Zemmour, « c’est budget contre suspension ».
Qui est concerné et quelles conséquences concrètes ?
En théorie, la mise en pause concerne les générations nées entre 1964 et 1968, soit environ 3,5 millions de personnes dont les départs étaient prévus entre 2026 et 2030. Elles pourraient partir trois mois plus tôt par rapport au calendrier initial.
Compte tenu du calendrier électoral, seules les personnes nées en 1964 sont assurées de bénéficier d’un départ anticipé : elles pourraient partir dès octobre 2026 au lieu de janvier 2027, à 62 ans et 9 mois, avec 170 trimestres requis au lieu de 171.
Après cette année de suspension, la réforme serait censée reprendre en 2028, avec pour objectif d’atteindre un âge légal de 64 ans « en 2033 au lieu de 2032 », selon Michaël Zemmour. Il reviendra au candidat élu en 2027 de décider de maintenir la réforme Borne ou de proposer une nouvelle trajectoire.
Les générations nées entre 1965 et 1968, dont les départs sont programmés entre 2027 et 2030, resteront dépendantes du choix de la majorité politique qui gouvernera après l’élection présidentielle de 2027.
Impact budgétaire et enjeux économiques
Selon les chiffres avancés par le premier ministre mardi, la suspension coûterait « 400 millions d’euros en 2026 et 1,8 milliard d’euros en 2027 ». Ce surcoût s’explique par un trimestre de pensions supplémentaires à verser et un trimestre de cotisations en moins.
Sur un plan strictement budgétaire, ces montants restent modestes : les dépenses de l’État sont attendues à environ 500 milliards d’euros l’an prochain, et le gouvernement prévoit 30 milliards d’euros d’économies. Par ailleurs, la suspension peut avoir un effet indirectement favorable aux finances publiques si elle permet l’adoption du budget et évite une crise politique susceptible de peser sur l’activité économique et la confiance des marchés.
Comme l’a résumé Michaël Zemmour, « si la suspension de la réforme permet au gouvernement de faire adopter un budget, c’est une bonne affaire économiquement parlant ».