Le débat politique français des trente dernières années se concentre, presque exclusivement, sur deux thèmes récurrents : les retraites et la dette. Cette focalisation, souvent répétée jusqu’à l’écœurement, trouve ses racines dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, et en particulier dans les réformes et les institutions nées en 1945.
Les héritages de 1945 : un pacte social adapté à une autre époque
Après 1945 s’est mise en place une configuration socio‑économique qui a structuré la fin du XXe siècle : la sécurité sociale, les régimes de retraite par répartition, une conception étatique du service public et une forte confiance dans l’ascenseur social. Ces institutions ont été conçues dans un contexte de croissance soutenue et de taux d’intérêt relativement bas, conditions qui ont largement facilité leur financement et leur acceptation sociale.
La retraite par répartition et l’endettement public sont, dans ce schéma, deux mécanismes complémentaires. L’un organise la solidarité intergénérationnelle au présent ; l’autre permet de lisser dans le temps des investissements publics et des politiques de reconstruction. Tous deux reposent, implicitement, sur l’hypothèse d’un avenir marqué par une amélioration continue des conditions économiques.
Un tempo politique figé malgré un monde changé
Or, tandis que nous sommes en 2025 et que le regard se porte déjà vers 2050, les catégories d’action politiques restent largement calquées sur celles de l’après‑guerre. La gestion des comptes publics, les débats sur l’âge de départ à la retraite ou les discours sur la compétitivité se déroulent comme si les paramètres fondamentaux n’avaient pas évolué.
Cette permanence historique explique en partie l’impression d’un débat qui tourne en rond : les acteurs politiques reprennent le même répertoire — conserver ou démanteler des acquis sociaux, promettre un « plan Marshall » pour relancer tel ou tel secteur — faute d’outils conceptuels nouveaux. Le Conseil national de la Résistance (CNR) demeure, pour certains, une référence normative qui sert de mètre étalon ou d’argument mobilisable lors de chaque controverse sociale.
L’anthropocène et la radicale remise en cause des présupposés
Ce qui change profondément la donne, c’est l’entrée dans l’anthropocène : une époque où l’empreinte humaine sur les systèmes naturels impose de penser les limites planétaires. Dans ce contexte, les certitudes sur le progrès illimité, qui ont fondé le compromis social de l’après‑1945, apparaissent de plus en plus anachroniques.
Le futur cesse d’être seulement une promesse de mieux‑être et devient, pour une partie de l’opinion et des experts, une source d’inquiétude. Le texte original évoque, à titre d’illustration, des images fortes — le « retour » de certaines figures politiques, la réapparition de conflits armés et une trajectoire potentielle de plus 4 °C à la fin du siècle — qui traduisent la transformation du rapport collectif au futur : d’espérance il est devenu scénario de risques.
Cette bascule a des conséquences pratiques. Les politiques publiques héritées du XXe siècle ne prennent pas suffisamment en compte la contrainte écologique, les risques climatiques et l’incertitude géopolitique. Dès lors, les solutions classiques — repousser l’âge de départ, réduire les dépenses, augmenter la dette — peuvent s’avérer insuffisantes ou inadaptées face à des chocs systémiques nouveaux.
Vers une redéfinition des cadres de l’action publique ?
La question centrale est donc de savoir si les sociétés peuvent adapter leurs cadres institutionnels et leurs récits collectifs pour tenir compte des nouvelles contraintes. Cela suppose de sortir d’un interminable 1945, au sens métaphorique : cesser de penser l’avenir exclusivement avec les outils et les catégories de cette époque.
Le diagnostic ne fournit pas automatiquement des réponses précises. Il invite toutefois à diversifier les grammaires politiques : intégrer la gestion des risques climatiques dans la planification des retraites, repenser la soutenabilité de la dette à l’aune des transitions énergétique et sociale, et élargir le débat public au‑delà des oppositions traditionnelles.
Sans présager des choix à venir, le constat est clair : le temps des réponses unitaires héritées d’après‑guerre est remis en question par des contraintes nouvelles. Le défi pour les décideurs et la société civile consiste à forger des instruments de gouvernance qui tiennent compte, simultanément, des impératifs sociaux, économiques et écologiques.





