En France, la tragédie des communs s’étend à la démocratie : Ostrom appelle à réformer pour restaurer confiance

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La théorie des jeux explique comment des choix individuels rationnels engendrent des blocages politiques et des équilibres sous‑optimaux. En croisant cette grille avec la « tragédie des communs », les travaux d’Elinor Ostrom montrent que la coopération est possible si l’on instaure règles locales, délibération, confiance et sanctions adaptées. Appliquée à la démocratie, cette analyse souligne l’urgence de réformer institutions et pratiques pour préserver la confiance publique et le bien commun.

La vie politique contemporaine paraît souvent dominée par des logiques de calcul et d’anticipation plutôt que par des projets collectifs. Les acteurs — partis, dirigeants, syndicats, électeurs — adoptent des stratégies individuelles fondées sur la prévision des réactions adverses, ce qui tend à paralyser l’action commune et à creuser des impasses collectives.

La théorie des jeux comme grille d’analyse

La théorie des jeux, développée au XXᵉ siècle par John von Neumann [1903–1957] et John Nash [1928–2015], fournit une clé d’interprétation utile de ces dynamiques. Elle décrit comment des individus rationnels, cherchant à maximiser leur intérêt, peuvent aboutir à des équilibres sous‑optimaux dès lors qu’ils anticipent les choix des autres.

Dans ce cadre, des situations apparemment irrationnelles à l’échelle collective deviennent compréhensibles : la guerre commerciale menée par Donald Trump, les impasses dans les négociations climatiques ou la fragmentation politique française illustrent comment la poursuite d’avantages immédiats par des acteurs isolés peut aboutir à des résultats défavorables pour tous.

La « tragédie des communs » et les enseignements d’Elinor Ostrom

La notion de « tragédie des communs » décrit une situation où des ressources partagées — pâturages, nappes phréatiques, zones de pêche — sont surexploitées parce que chaque utilisateur retire un bénéfice individuel immédiat tandis que le coût de la dégradation se répartit entre tous.

L’économiste Elinor Ostrom [1933–2012], récompensée par le prix Nobel en 2009, a montré que cette fatalité n’était pas inéluctable. Ses travaux sur la gestion collective des ressources documentent des cas où des communautés se sont auto‑organisées, ont défini des règles claires et appliqué des sanctions proportionnées, permettant de préserver la ressource commune.

Ostrom identifie des conditions favorables à la coopération : la confiance entre acteurs, des mécanismes de délibération accessibles, des règles adaptées au contexte local et la capacité de sanctionner les comportements déviants. Ces éléments réduisent l’incitation à la course à l’exploitation et augmentent la durabilité des arrangements collectifs.

Quand la ressource commune devient la démocratie

Transposée à la sphère politique, la tragédie des communs ne porte plus sur une ressource matérielle mais sur un bien immatériel : la confiance publique, la stabilité institutionnelle et la légitimité des paroles et des processus. Ces biens collectifs sont fragiles. Leur déclin résulte souvent d’une succession d’actes rationnels pris à court terme.

Les partis politiques, en privilégiant la pureté idéologique ou l’appropriation d’un créneau, réduisent les marges de coalition. Les dirigeants, tentés par des gains électoraux immédiats, gouvernent parfois à court terme. Les syndicats et mouvements sociaux peuvent adopter des postures de confrontation qui polarisent le débat. De leur côté, des citoyens désabusés peuvent s’abstenir, diminuant la représentativité et affaiblissant la légitimité des institutions.

Pris isolément, ces comportements peuvent sembler rationnels : chacun protège son avantage électoral, son influence ou son intérêt particulier. Cumulés, ils creusent toutefois l’érosion du bien commun : la défiance s’accroît, la coopération se raréfie et la capacité à élaborer des solutions collectives s’affaiblit.

Implications et limites de l’analyse

Lire la vie politique à partir de la théorie des jeux et de la tragédie des communs permet d’expliquer des blocages et des paradoxes. Cette lecture met en lumière la nécessité d’instituer des règles et des institutions qui modifient les incitations individuelles, comme le montrèrent les études d’Elinor Ostrom sur les régulations locales.

Il faut toutefois rester prudent : transposer des conclusions tirées de la gestion de ressources naturelles à la démocratie comporte des limites. Les dynamiques politiques intègrent des dimensions symboliques, médiatiques et juridiques qui complexifient les équations d’intérêt. De plus, la diversité des acteurs et des temporalités rend les solutions uniformes peu probantes.

En définitive, si la rationalité individuelle explique une part importante des impasses collectives observées, elle n’exclut pas la possibilité de coopération. Des institutions, des pratiques délibératives et des mécanismes de confiance peuvent, selon les cas étudiés par Ostrom, réorienter les incitations et préserver des biens communs, y compris quand ce bien s’appelle démocratie.

Parlons Politique

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