L’historien et sociologue Marc Lazar propose, dans Pour l’amour du peuple. Histoire du populisme en France, XIXᵉ-XXIᵉ siècle (Gallimard, 320 pages, 22,50 euros), une enquête systématique sur la longue présence du populisme dans le paysage politique français. Plutôt que de céder au diagnostic fréquent d’un « abus de langage », l’auteur prend pour objet la prolifération de l’étiquette et tente d’en tirer des enseignements sur les formes et la durée des phénomènes politiques qu’elle recouvre.
Définir le populisme : variations et précautions
Face à la diversité des usages, Marc Lazar opte pour une approche nuancée. Il distingue ainsi un populisme « intégral », qui réunit la plupart des caractéristiques communément attribuées au concept, d’un populisme « intermittent », qui n’en présente que certains traits. Il distingue également le populisme de droite et le populisme de gauche, et prend soin de préciser les frontières entre populisme d’une part, et fascisme, autoritarisme ou illibéralisme d’autre part.
Cette méthodologie cherche à éviter l’amalgame et à rendre comparables des phénomènes variés. L’auteur rappelle que le terme peut servir à désigner des stratégies politiques très différentes : mobilisation contre des « élites », appel direct à la « masse », rejet des corps intermédiaires, rhétorique émotionnelle. Selon lui, l’attention portée à ces différences permet d’éviter des généralisations impropres tout en tenant compte de continuités historiques.
Une omniprésence révélatrice
Pour Marc Lazar, l’omniprésence contemporaine du mot populisme n’est pas un simple « abus de langage » mais une raison supplémentaire d’enquêter. Il situe la France comme « berceau du populisme en Europe et l’une de ses terres de prédilection », invitant à lire l’histoire nationale à la lumière de cette grille d’analyse.
Le livre déroule une fresque historique du XIXᵉ au XXIᵉ siècle, en alternant épisodes très étudiés et séquences moins attendues. Parmi les exemples classiques, Lazar examine la crise boulangiste sous la IIIe République et l’aventure poujadiste sous la IVe. Mais il inclut aussi des épisodes plus surprenants, qui, observés par ce prisme, prennent un relief nouveau.
Les ligues d’extrême droite des années 1930 sont analysées comme des variantes de « national-populisme ». De même, l’auteur montre comment l’usage d’une certaine rhétorique du « peuple » par des formations ou des personnalités aussi différentes que le Parti communiste français ou le général de Gaulle peut fonctionner comme une « matrice fertile » pour des résurgences populistes ultérieures.
Une menace mortelle pour la démocratie
Marc Lazar n’élude pas la question des risques. En scrutant les continuités et les réapparitions du populisme, il met en lumière les mécanismes par lesquels des acteurs politiques peuvent « prospérer sur l’antagonisme qu’ils s’évertuent à instaurer entre la minorité des élites et la masse de la population », formule qu’il emploie pour décrire une stratégie commune à de nombreux mouvements.
L’ouvrage ne réduit pas pour autant le populisme à une seule dynamique dangereuse. En distinguant formes, époques et intentions, l’auteur cherche à comprendre comment ces pratiques s’insèrent dans des contextes sociaux et institutionnels précis, et à quelles conditions elles fragilisent les institutions démocratiques.
Le propos reste analytique : il s’agit d’identifier des registres rhétoriques, des tactiques de mobilisation et des environnements historiques qui rendent le recours à une idéologie ou à une stratégie populiste plus probable. Par cette lecture, Marc Lazar entend offrir des clés pour mieux reconnaître et situer les phénomènes contemporains dans une généalogie nationale longue.
Au total, Pour l’amour du peuple se présente comme une tentative de cartographier le populisme « à la française », en alliant différenciation conceptuelle et enquête historique. Le parti pris de l’auteur est clair : la multiplication des usages du mot mérite d’être prise au sérieux, non pour l’élargir sans garde-fous, mais pour l’analyser et en comprendre les ressorts et les effets sur la vie politique.





