Un avertissement bref mais sonore. Alors que quatorze parlementaires — députés et sénateurs — tentaient de négocier un compromis sur le budget, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a publié, vendredi 19 décembre, un chiffre qui ramène le débat au cœur de l’urgence : la dette publique française a augmenté de 65,9 milliards d’euros en trois mois, pour atteindre 3 482 milliards d’euros à la fin septembre.
Un bilan chiffré qui interroge
Ces chiffres posent une question simple et lourde : cette trajectoire peut‑elle encore être redressée ? En un an, la dette publique s’est alourdie de 181 milliards d’euros, soit une hausse de 5,5 %. L’ampleur et la rapidité de l’accroissement inquiètent parce qu’elles traduisent un recours massif à l’emprunt pour couvrir des dépenses courantes, et pas seulement des investissements exceptionnels.
La publication de l’Insee intervient au moment même où se tiennent des tractations budgétaires serrées, et où le sort du gouvernement dit « Lecornu » est évoqué dans les couloirs. Au‑delà des jeux politiques, l’enjeu est fiscal et macroéconomique : qui paiera la facture et comment réduire un déficit qui ne faiblit pas ?
Une dette liée au fonctionnement courant
Pour l’économiste Guillaume Hannezo, dans une note pour Terra Nova, la caractéristique essentielle de cette dette est claire : « Ce ne sont pas seulement des dépenses exceptionnelles ou d’investissement qui sont financées par l’endettement, mais bien le fonctionnement courant de l’État et les dépenses de transfert liées à la redistribution ou aux assurances sociales. »
Cette analyse est reprise par d’autres observateurs. Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d’investissement, écrit dans l’ouvrage La Dette sociale de la France, 1974-2024 (Odile Jacob, 544 pages, 28,90 euros) que la dette ressemble à « un crédit à la consommation qui couvre les dépenses de la semaine et ne prépare en rien l’avenir ». Ces formules illustrent l’inquiétude partagée : l’endettement finance aujourd’hui le fonctionnement courant plutôt que des projets productifs de long terme.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est accentué. Selon les données citées, l’État, les collectivités locales et la Sécurité sociale affichent des budgets structurellement déficitaires depuis 1975. Cinquante ans de déficits cumulés ont installé une dynamique d’endettement récurrent.
Après la crise sanitaire, un basculement
La pandémie de Covid‑19 a profondément modifié la trajectoire budgétaire : l’ouverture massive des crédits publics pour soutenir l’économie a creusé les déficits. Là où plusieurs pays ont resserré leurs dépenses pour stabiliser leur ratio d’endettement, la France n’est pas parvenue à inverser la tendance.
Le résultat est tangible : le déficit français a dérapé par rapport aux prévisions et, parmi les pays de la zone euro, il figure parmi les plus élevés. La dette a suivi cette pente. Les derniers chiffres de l’Insee — +65,9 milliards en trois mois et +181 milliards en un an — confirment un emballement persistant.
Ce constat incite à poser des questions concrètes sur les options possibles : maîtrise des dépenses, réforme des transferts sociaux, hausse des recettes, ou combinaison des trois. Chacune de ces voies a des implications politiques et sociales fortes, et les arbitrages sont attendus dans le cadre des discussions budgétaires en cours.
Les commentaires d’économistes et d’acteurs publics soulignent une tension centrale : réduire la dette sans sacrifier la protection sociale ni freiner la croissance demande des choix difficiles et coordonnés. À court terme, l’augmentation continue de la dette peut limiter la marge de manœuvre, notamment si les taux d’intérêt remontent.
Sur le plan politique, les tractations parlementaires et la confiance dans l’exécutif influencent aussi la capacité du pays à convaincre les marchés et les agences de notation. Mais le diagnostic chiffré, fourni par l’Insee, reste le point de départ objectif des débats : il traduit une situation qui n’est plus seulement comptable, mais structurelle.
Sans décision rapide et claire, la dynamique observée — endettement récurrent pour financer le fonctionnement courant — devrait rester une contrainte majeure des finances publiques françaises.





