La proposition d’un impôt « plancher » à 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, défendue par l’économiste Gabriel Zucman, s’est imposée ces derniers mois comme un élément central du débat public en France. Au‑delà des clivages partisans, elle recueille un soutien important dans les enquêtes d’opinion et alimente les réflexions sur la façon dont le prochain gouvernement pourrait élargir sa base politique.
Objectifs affichés et arguments en faveur
Les promoteurs de la mesure présentent plusieurs objectifs précis : assurer que les très grandes fortunes contribuent « équitablement » aux recettes publiques, contrer des procédés d’optimisation fiscale jugés agressifs, et réduire des inégalités jugées croissantes ces dernières décennies. La mesure est décrite comme limitée et techniquement réaliste, visant à récupérer « plusieurs milliards » d’euros qui, selon ses partisans, échappent actuellement au fisc.
Le magazine Challenges est cité pour une comparaison saisissante : les 500 plus grandes fortunes représentaient 6 % du PIB en 1996, puis 42 % du PIB en 2024. Ce type de statistique alimente l’argument selon lequel la concentration des patrimoines a fortement augmenté et justifie une intervention ciblée sur les très hauts patrimoines.
Dans l’opinion publique, la proposition rencontre une forte adhésion : « trois Français sur quatre » se déclarent favorables à une taxation des patrimoines les plus élevés, chiffre souvent relayé pour souligner l’ancrage populaire de l’idée.
Réactions et polarisation
La visibilité de la proposition et sa popularité apparente ont suscité des réactions vives, y compris de la part de personnalités économiques influentes. Dans le journal britannique Sunday Times, Bernard Arnault, l’un des hommes les plus fortunés de France, a attaqué frontalement Gabriel Zucman, dans des termes d’une rare fermeté pour un débat fiscal national. Il a notamment déclaré : « On ne comprend pas les positions de M. Zucman si on ne comprend pas qu’il est d’abord un militant d’extrême gauche. À ce titre, il met au service de son idéologie une pseudo‑compétence universitaire qui, elle‑même, fait largement débat. »
Arnault a également exhorté « les forces politiques françaises » à ne pas accorder la moindre « crédibilité » à la mesure, l’accusant de « vouloir mettre à bas notre économie ». Ces propos ont relancé le débat sur le rôle des acteurs économiques dans l’opinion publique et sur les formes de communication employées pour influer sur les décisions politiques.
Arguments critiques et points de tension
Les opposants à l’impôt plancher avancent plusieurs critiques : risque d’exil fiscal, impact possible sur les investissements et le financement de l’économie, et difficultés techniques pour définir et appliquer une assiette fiscale stable. Parmi les objections figurent aussi des mises en garde sur les effets indirects qu’une taxe ciblée pourrait avoir sur la valorisation des actifs et sur les stratégies de détournement légal.
En sens inverse, les partisans insistent sur la proportion limitée de la mesure — un seuil élevé à 100 millions d’euros et un taux modéré de 2 % — et sur son caractère redistributif. Ils font valoir qu’une taxation ciblée sur les patrimoines extraordinaires peut corriger des distorsions sans affecter la majorité des contribuables ni la structure générale de l’investissement.
Conséquences politiques et perspectives
Sur le plan politique, l’idée a un double intérêt : elle pourrait permettre au gouvernement d’élargir son soutien au‑delà du camp présidentiel en s’appuyant sur un sentiment populaire partagé, et elle pose la question de compromis possibles au sein de l’Assemblée et du paysage partisan. La plausibilité de son adoption dépendra cependant d’arbitrages techniques, juridiques et politiques encore à venir.
Le calendrier et la forme exacte d’un éventuel texte restent incertains. Plusieurs paramètres législatifs seront déterminants, notamment la définition précise de l’assiette, les mécanismes anti‑optimisation, et la coordination avec les cadres fiscaux internationaux. Les débats à venir devront aussi confronter l’argument de justice fiscale aux craintes d’effets économiques adverses soulevées par les opposants.
Quel que soit le résultat final, la proposition de Gabriel Zucman a réussi à déplacer la conversation publique sur la taxation des très hauts patrimoines et à mettre en lumière des enjeux de redistribution et de transparence fiscale. Sa trajectoire politique dépendra des compromis que voudront et pourront trouver les acteurs institutionnels et économiques dans les prochains mois.