Allen Akino, trentenaire discret, se présente comme rappeur et chanteur. Son parcours artistique, résumé par un CV fourni, comprend des albums, des duos avec le groupe IAM, des collaborations avec Jul et l’écriture de textes pour de nombreux artistes. Se comptant déjà parmi les « anciens », il dit s’intéresser aux différences d’engagement entre les générations, thème qui irrigue sa pratique et ses interventions locales.
Ateliers hebdomadaires près de Marseille
Chaque semaine, Allen Akino anime des ateliers d’écriture au sein de structures sociales situées près de Marseille, notamment dans la cité Notre-Dame-des-Marins, à Martigues (Bouches-du-Rhône). Les séances visent à travailler la forme et le récit dans un cadre collectif : le défi du jour proposé aux participants est de construire « un scénario, une histoire en seize mesures ». Pour l’exercice, il lance une piste instrumentale composée pour l’occasion et invite les jeunes à écrire et à jouer avec les contraintes rythmiques et narratives.
La formule est volontairement cadrée : la contrainte des seize mesures pousse à condenser un récit, à choisir un angle et à expliciter les événements qui justifient une situation. « Un pauvre qui devient riche, il faut expliquer ce qu’il s’est passé », explique Akino en présentant la consigne, insistant sur la nécessité de détailler la progression du personnage plutôt que de rester au niveau d’un simple cliché.
Réactions et récits des jeunes participants
Dans la salle, ils sont une dizaine d’adolescents. Tous habitent le quartier et manifestent, au départ, une certaine surprise face à la présence d’un journaliste. « Le Monde, c’est quoi ? Vous êtes sur Insta ? », demandent-ils, interloqués que la presse se déplace pour un sujet qui n’est pas, selon eux, la drogue ou les règlements de comptes — thèmes perçus comme plus fréquents dans le traitement médiatique de leur quotidien.
Après une heure de travail, les histoires produites convergent vers des motifs communs. Tous, sans exception, racontent un personnage que le trafic de drogue a enrichi : on entend des formules répétées comme « La chaise/La geôle/Marbella. » Ces références, brèves et évocatrices, renvoient à des lieux et des conséquences associés au trafic dans les récits collectifs des jeunes.
Les jeunes ne peignent pas pour autant un portrait naïf : certains commentaires traduisent une conscience des coûts personnels et sociaux. « Il a niqué sa vie à vendre 100 g au lycée », lance l’un d’eux, condensant en une phrase l’idée que l’enrichissement matériel peut s’accompagner d’un effondrement de perspectives. Une autre remarque mêle acronyme institutionnel et bilan personnel : « DPJJ [direction de la protection judiciaire de la jeunesse] / J’ai failli rater ma vie », soulignant la proximité des institutions de l’enfance et de la justice dans les trajectoires évoquées.
Ces témoignages et ces récits collectifs révèlent autant les représentations locales du succès et de l’échec que les inquiétudes qui traversent ces franges de la jeunesse : l’argent, la prison, l’exil supposé vers des lieux comme Marbella figurent comme des étapes possibles d’un destin narratif que les ateliers se proposent d’explorer.
Au-delà de la simple production artistique, la contrainte d’écriture et le dialogue en atelier permettent d’ouvrir des discussions sur les choix, les conséquences et la façon de raconter sa propre histoire. En sollicitant des situations précises et en demandant d’expliquer « ce qu’il s’est passé », la méthode d’Akino vise à renforcer l’exigence narrative et la capacité des participants à analyser les enchaînements de leurs propres scénarios.
Si ces séances tiennent d’un apprentissage de la forme poétique et musicale, elles jouent aussi un rôle social : offrir un espace d’expression, confronter des expériences et, parfois, remplacer la circulation de récits stéréotypés par des récits plus argumentés et réflexifs. Les ateliers, tels qu’ils se déroulent à la cité Notre-Dame-des-Marins, illustrent comment la pratique artistique peut se situer à la croisée de l’accompagnement, de la transmission et de la critique sociale.