Un juge du tribunal de Bogotá a annulé, mardi 21 octobre, la condamnation de l’ex‑président colombien Álvaro Uribe pour des pressions sur des témoins visant à dissimuler ses liens présumés avec des paramilitaires. La cour a considéré comme illégaux des enregistrements présentés comme preuves et relevé des « failles dans la méthodologie » employée par la juge de première instance.
Motifs de l’annulation
Condamné en première instance à douze ans d’assignation à résidence pour subornation de témoins et fraude procédurale, Álvaro Uribe, âgé de 73 ans, voit ces peines annulées par la cour de justice qui a retoqué les deux chefs d’accusation. La décision repose en grande partie sur la recevabilité des enregistrements et sur des réserves procédurales soulevées par les magistrats.
Quand il avait été condamné, Uribe était devenu le premier ancien président de Colombie à être reconnu pénalement coupable et privé de liberté; la peine prononcée était de douze ans d’assignation à résidence. Après une vingtaine de jours de détention à domicile, il avait été autorisé à retrouver sa liberté pendant la procédure en appel.
L’audience d’appel, à laquelle l’ancien président a assisté virtuellement, s’est achevée après six heures de lecture du verdict. La cour a estimé que certains éléments matériels présentés en première instance ne pouvaient être retenus en l’état, d’où l’annulation.
Voies de recours et réactions
Le sénateur de gauche Iván Cepeda, auteur de la plainte qui avait déclenché l’enquête contre M. Uribe, a annoncé qu’il déposerait un recours en cassation devant la Cour suprême de justice. Lors d’une conférence de presse, il a déclaré accueillir la décision « avec sérénité », qu’il « respecte » tout en affirmant qu’il n’en est « pas d’accord ».
Sur le plan politique, la décision renforce temporairement la position d’Álvaro Uribe, encore très influent à droite et perçu comme une figure centrale de l’échiquier politique colombien. Ses soutiens y voient un répit qui peut peser sur la course présidentielle prévue en 2026.
Le président Gustavo Petro, adversaire politique de longue date d’Uribe, a vivement réagi sur le réseau X en écrivant : « C’est ainsi qu’on dissimule l’histoire de la gouvernance paramilitaire en Colombie, c’est‑à‑dire l’histoire des politiciens qui sont arrivés au pouvoir alliés aux narcotrafiquants et qui ont déclenché le génocide en Colombie ». Il a appelé à des manifestations pour vendredi.
Dans la sphère internationale, Gustavo Petro a aussi adressé une critique visant le soutien d’anciens responsables américains à Uribe, évoquant le rôle de Donald Trump; la riposte est venue du sénateur Marco Rubio, qui a salué la décision judiciaire en estimant que « la justice [avait] prévalu en Colombie (…) après des années de chasse aux sorcières politique » contre Uribe et sa famille.
Contexte judiciaire et enquêtes en cours
L’affaire est très médiatisée et remonte à 2018, lorsque la Cour suprême a ouvert une enquête sur les liens présumés d’Álvaro Uribe avec des groupes paramilitaires, à la suite des accusations portées par Iván Cepeda. L’ex‑paramilitaire Juan Guillermo Monsalve avait affirmé que l’avocat de M. Uribe avait tenté de le soudoyer.
La justice avait par ailleurs condamné l’avocat Diego Cadena à sept ans de prison à domicile pour corruption liée à cette affaire. Álvaro Uribe a toujours nié tout lien avec les paramilitaires et dénonce une persécution politique de la gauche.
Son nom figure également dans au moins trois autres enquêtes confiées au parquet colombien, portant sur la création et le financement d’un groupe paramilitaire, plusieurs tueries et le meurtre d’un défenseur des droits humains. Ces procédures restent en cours et n’ont pas été jugées au moment de l’annulation de la condamnation pour subornation et fraude procédurale.
Álvaro Uribe demeure une figure populaire auprès d’une partie de l’électorat pour sa politique de fermeté contre la guérilla lors de ses deux mandats. Toutefois, son administration a été marquée par de graves atteintes aux droits humains, notamment des cas où des civils ont été assassinés et présentés comme des guérilleros tués au combat, des pratiques documentées par plusieurs enquêtes.
La décision de la cour de Bogotá relance donc un débat national et judiciaire déjà ancien, entre les partisans d’une ligne de fermeté sécuritaire et les voix qui dénoncent des complicités avec les milices paramilitaires. Les prochains recours annoncés et l’évolution des enquêtes en cours détermineront si cette annulation sera confirméée ou renversée par la Cour suprême.