Les enquêtes d’opinion le confirment chaque année : au sein d’un espace public souvent meurtri, les maires conservent une place de confiance particulière. Dans les bourgs et villages, la longévité de certains édiles alimente l’idée d’un ordre municipal consensuel, parfois perçu comme une forme d’apaisement politique par rapport aux zones de forte compétition électorale.
Le sociologue Julian Mischi propose une analyse nuancée et documentée de cette réalité dans son ouvrage Des élus en campagne. Luttes municipales dans les bourgs industriels (XXe-XXIe siècles) (Presses de Sciences Po, 366 pages, 24 euros). En s’appuyant sur l’histoire locale de trois bourgs industriels de Bourgogne — Brienon-sur-Armançon, Saint-Florentin (Yonne) et Venarey-les-Laumes (Côte-d’Or) —, l’auteur explore les conflits municipaux du début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui.
Un regard sur trois bourgs industriels
Mischi détourne le regard des stéréotypes ruraux pour montrer que, dans ces communes, la population ouvrière souvent dépasse celle des paysans. Cette configuration sociale modifie l’espace politique local : les mairies deviennent des lieux d’affrontement récurrents entre intérêts industriels et aspirations ouvrières, plutôt que des sanctuaires d’unité communautaire.
Les trois cas étudiés offrent un terrain de comparaison pertinent. Les chefs d’entreprise locaux, passés et présents, considèrent fréquemment la mairie comme un mandat à leur portée. Dans le même temps, l’élection d’un ouvrier au poste de maire reste l’exception plutôt que la règle, même lorsque les ouvriers constituent une part importante de la population active.
Des maires entre ouvriers et patrons
Le livre retrace les étapes d’une histoire politique âprement disputée, souvent passée sous les radars des histoires nationales. Les luttes municipales ne se réduisent pas à des oppositions idéologiques abstraites : elles prennent racine dans des rapports de force sociaux, économiques et symboliques qui traversent les communes.
Illustration frappante de ce rapport de forces, Saint-Florentin est cité par l’auteur comme un exemple où, en plus d’un siècle, aucun ouvrier n’a accédé au fauteuil de maire. Cette constation souligne la prégnance des notables locaux dans les trajectoires politiques municipales et la difficulté pour les classes populaires d’accéder aux rôles exécutifs, malgré leur poids démographique dans certains bourgs.
À Brienon-sur-Armançon et Venarey-les-Laumes, les trajectoires sont similaires : la compétition pour l’hôtel de ville se joue souvent entre figures issues des milieux économiques locaux et représentants d’intérêts ouvriers, avec des victoires et revers qui témoignent d’un jeu politique plus serré qu’il n’y paraît de prime abord.
Remise en question des clichés ruraux
En recentrant l’étude sur des bourgs industriels, Mischi déconstruit plusieurs idées reçues. L’image d’un monde rural apaisé et peu politisé ne résiste pas toujours à l’analyse quand on considère la nature des conflits locaux. De plus, la longévité d’un maire ne suffit pas à prouver l’existence d’un consensus généralisé : elle peut au contraire masquer des rapports de domination persistants.
Le propos de l’ouvrage montre que la municipalité est un lieu clé pour comprendre la reproduction des élites locales et les obstacles rencontrés par les classes populaires pour accéder au pouvoir. Les exemples bourguignons étudiés offrent ainsi une lecture fine des dynamiques de pouvoir à l’échelle communale.
Sans verser dans le sensationnalisme, l’analyse éclaire le rôle central des rapports sociaux et économiques dans les campagnes industrielles, et rappelle que la démocratie locale mérite une attention spécifique, différente de celle portée aux arènes politiques nationales.