« Le conseil départemental, enfant malade de Mayotte ». C’est par cette formule que la chambre régionale des comptes de la Réunion-Mayotte (CRC) introduit trois rapports récemment publiés, qui dressent un constat sévère sur la gestion de la collectivité entre 2019 et 2024.
Des rapports sans concession
Les trois documents, instruits avant la catastrophe provoquée par le cyclone Chido, portent sur les finances du conseil départemental, son patrimoine et la gestion des subventions. Les magistrats financiers identifient, comme fil conducteur, « une absence de pilotage global des actions et des moyens » et « un manque d’efficacité sur le terrain ».
La CRC relève un ensemble de défaillances : un contrôle interne jugé « faible », des comptes dont la fiabilité est remise en cause et des procédures présentées comme opaques. Les auditeurs signalent également des dépenses qualifiées d’injustifiées et un défaut de rigueur dans la gestion des effectifs.
Effectifs, conflits d’intérêts et manquements à la probité
Sur le plan des ressources humaines, les rapports parlent d’un effectif « pléthorique » évalué à 3 500 agents. Les magistrats mettent en avant un manque de maîtrise des emplois et des parcours professionnels, facteur, selon eux, d’inefficacité budgétaire et opérationnelle.
Les documents rapportent aussi des cas de conflits d’intérêts et des manquements à la probité impliquant certains élus. Ces éléments renforcent les critiques sur la gouvernance et sur le contrôle des décisions publiques au sein de la collectivité.
Un enjeu financier majeur pour la reconstruction
La cellule de contrôle s’est dite visiblement inquiète de la gestion future des fonds destinés à la reconstruction. Les rapports mentionnent « au moins trois milliards d’euros » d’argent public fléchés pour ce chantier. Face à ce montant, les magistrats formulent de nombreuses recommandations pour renforcer les procédures et la transparence.
Ces observations interviennent alors que la collectivité doit évoluer : la loi pour « refonder Mayotte », validée le 7 août par le Conseil constitutionnel, prévoit d’élargir les compétences de la collectivité appelée à devenir département‑région. Les critiques de la CRC pointent donc non seulement des carences actuelles mais aussi des risques accrus à l’heure d’une montée en charge des responsabilités locales.
Un silence remarqué de la présidence
Fait marquant dans la procédure, le président du conseil départemental, Ben Issa Ousseni (Les Républicains), n’a pas répondu à la juridiction, alors que la procédure lui permettait de présenter des observations. Ce silence est souligné dans les rapports et laisse les magistrats privés de certaines clarifications possibles.
La CRC adresse, à l’issue de ses constats, un ensemble de recommandations destinées à améliorer le pilotage, la fiabilité comptable et la transparence des procédures. Elle insiste sur la nécessité d’un contrôle interne renforcé et d’une meilleure traçabilité des dépenses.
Confrontée à ces critiques, la collectivité devra concilier urgences de reconstruction, renforcement des compétences institutionnelles et réorganisation interne. Les rapports de la CRC dressent un état des lieux détaillé, qui pose la question de la capacité du conseil départemental à absorber et gérer des moyens accrus sans une transformation profonde de ses pratiques.
Les conclusions de la CRC devraient alimenter les débats politiques et administratifs à Mayotte, tandis que les recommandations formulées visent à réduire les vulnérabilités identifiées avant l’afflux des crédits de reconstruction. Le suivi de leur mise en œuvre restera un indicateur clé pour évaluer l’évolution de la gouvernance locale.