Le tribunal administratif de Marseille a estimé que la ville avait enfreint la loi en annulant les dernières projections du film Sacré-Cœur, son règne n’a pas de fin, programmées du 22 au 28 octobre au château de La Buzine (11e arrondissement), un cinéma géré en régie directe par la municipalité.
Saisi en référé‑liberté, le tribunal a ordonné, samedi 25 octobre, au maire divers gauche Benoît Payan d’autoriser les séances qui restaient prévues, estimant que la décision municipale portait une atteinte grave aux libertés artistiques et d’expression.
Les motifs avancés par la municipalité
La municipalité avait déprogrammé le film mardi, quelques minutes avant la première diffusion annoncée, au motif « qu’un équipement public ne peut accueillir des projections qui sont de nature confessionnelle ». Cette décision s’appuyait également, selon la ville, sur le précédent de la SNCF et de la RATP, qui avaient refusé la campagne d’affichage du documentaire, jugée « incompatible avec la neutralité du service public ».
Le cinéma du château de La Buzine, géré directement par la ville, avait donc vu la programmation annulée pour éviter, selon la municipalité, une mise en cause du principe de neutralité laïque attaché aux services publics.
La lecture du tribunal administratif
La justice administrative n’a pas retenu cette interprétation. Dans sa décision, le tribunal souligne que « la diffusion d’une œuvre susceptible de présenter un caractère religieux dans un cinéma municipal ne porte pas, par elle‑même, atteinte au principe de laïcité, dès lors qu’elle n’exprime pas la reconnaissance par la commune d’un culte ou d’une préférence à l’égard de ce culte ».
Les juges ont en outre pris en compte un élément financier : le film n’avait bénéficié d’aucune tarification particulière dans ce cinéma. Une remise ou un tarif préférentiel aurait pu être assimilé à une forme de subvention publique, susceptible de modifier l’analyse juridique. En l’absence de toute mesure tarifaire singulière, le tribunal a jugé que la simple projection ne constituait pas une reconnaissance communale d’un culte.
En conséquence, la décision municipale de déprogrammer le film a été qualifiée par le tribunal d’illégale. Les magistrats estiment que le maire « a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression, de création et de diffusion artistiques » en empêchant les dernières séances prévues.
Portée et éléments à retenir
La décision illustre la frontière juridique entre la neutralité du service public et la liberté culturelle. Selon le tribunal, accueillir une œuvre présentant un caractère religieux dans un équipement municipal n’enfreint pas automatiquement le principe de laïcité. L’examen porte plutôt sur le contexte et sur la manière dont la collectivité traite l’œuvre, notamment au plan financier.
Le recours au référé‑liberté, procédure d’urgence destinée à protéger une liberté fondamentale, a permis d’obtenir rapidement une décision obligatoire. Le tribunal a ainsi priorisé la protection des libertés artistiques et d’expression au regard des motifs invoqués par la municipalité.
À défaut d’indication publique d’une mesure tarifaire ou d’un soutien matériel particulier, la simple programmation d’un film dans un cinéma municipal n’a pas suffi à caractériser une faveur indue pour un culte, selon la lecture retenue par la juridiction administrative.
La décision marque également un rappel aux autorités locales quant aux contraintes juridiques qui encadrent la gestion d’équipements culturels municipaux. Toute décision de déprogrammation pour motif de neutralité devra, à l’avenir, être étayée juridiquement si elle entend s’appuyer sur le même raisonnement que celui retenu par la ville de Marseille.
Enfin, la formulation du tribunal met en lumière la distinction nette entre expression culturelle et reconnaissance institutionnelle d’un culte, distinction qui a pesé au cœur du jugement rendu samedi 25 octobre.




