Procédures déclenchées en France
Début novembre, plusieurs procédures judiciaires et administratives ont été engagées en France contre la plateforme d’e‑commerce Shein, après la découverte sur son site de produits posant des risques et d’annonces choquantes — notamment des poupées à l’allure enfantine et des armes de catégorie A.
Le tribunal judiciaire de Paris a été saisi, visant notamment à obtenir la suspension de la plateforme pour une durée de trois mois. Les motifs avancés couvrent des sujets variés : sécurité des produits, concurrence déloyale, et diffusion d’informations mensongères, parmi d’autres griefs.
En parallèle, des enquêtes portent sur le non‑respect allégué des normes européennes pour un certain nombre d’articles vendus en ligne. Selon l’AFP, la marketplace mettrait en ligne en moyenne plus de 700 nouvelles références par jour, un rythme qui complique le contrôle de la conformité des produits proposés aux consommateurs.
Un modèle commercial très répandu et critiqué
Présente depuis environ une dizaine d’années sur le marché européen, Shein s’est imposée comme un acteur majeur du « fast fashion » en ligne, proposant des millions d’articles — vêtements, bijoux, jouets, équipements électroniques — à des prix très bas. La société compterait plus de 20 millions de clients en France, selon les chiffres cités dans les communiqués publics évoqués.
Cependant, ce succès commercial est entaché de controverses : pratiques commerciales, impact environnemental et conditions sociales sont régulièrement pointés du doigt. Des industriels européens du textile dénoncent également des fraudes à la TVA et des atteintes à la propriété intellectuelle imputées à l’écosystème des marketplaces low cost.
Le modèle repose sur un flux massif de petits colis en provenance de Chine : la Commission européenne a indiqué que 4,6 milliards de petits colis chinois sont arrivés dans l’Union européenne l’année précédente, soit environ 12 millions par jour. Cette cadence rend le suivi douanier et la vérification des produits difficilement soutenables pour les contrôles actuels.
Pressions et outils européens de régulation
À Bruxelles, les pratiques des grandes plateformes chinoises d’e‑commerce sont de plus en plus scrutées. En mai, la Commission européenne a notifié à Shein une série de pratiques jugées contraires aux règles de protection des consommateurs : fausses réductions, informations trompeuses sur la durabilité des produits, ventes sous pression et techniques de contact dissimulées, figurent parmi les reproches.
Depuis le 17 février 2024, le règlement européen sur les services numériques (DSA) impose aux plateformes d’e‑commerce des obligations précises : sécurité des utilisateurs, lisibilité des interfaces, traçabilité des vendeurs et retrait rapide des contenus illicites signalés. Les très grandes plateformes, dont Shein (consultée chaque mois par plus de 130 millions d’Européens selon les communications officielles), se voient soumettre des mesures renforcées pour réduire les risques systémiques, notamment l’amélioration des algorithmes afin d’empêcher la promotion de produits interdits.
En cas de non‑respect du DSA, des sanctions pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial sont théoriquement prévues, et la fermeture de la plateforme est envisagée en cas de récidive. Ces sanctions restent toutefois, à ce stade, pour l’essentiel théoriques et soumises à une procédure formelle et graduée.
Mesures douanières et économiques annoncées
Pour limiter l’afflux de colis à bas coût, les Vingt‑Sept se sont accordés le 13 novembre pour mettre fin à l’exonération de droits de douane pour les colis de moins de 150 euros. Cette mesure, annoncée pour entrer en vigueur début 2026, doit être accompagnée d’un frais de gestion de 2 euros par colis destiné à compenser la hausse de la charge administrative.
L’Union européenne considère également le levier douanier comme central pour endiguer les envois massifs et potentiellement dangereux. Face à l’augmentation constatée des envois potentiellement dangereux en août, Bruxelles s’est déclarée prête à agir sur le plan douanier.
Enfin, la Commission européenne a demandé à plusieurs reprises à Shein, en juin 2024, en février 2025 et en novembre 2025, des informations sur sa conformité au DSA : traçabilité des vendeurs, transparence des systèmes de recommandation et mesures prises pour empêcher la circulation de produits illicites. Bruxelles précise qu’elle décidera des suites « sur la base de l’évaluation des réponses » qu’elle recevra, et affirme traiter le dossier « très sérieusement ».
Réactions politiques et enjeux
La tension politique a monté ces derniers mois. Le 5 novembre, le ministre français des Affaires étrangères Jean‑Noël Barrot a appelé la Commission à « sévir » et à sanctionner une plateforme qu’il juge « de toute évidence en infraction avec les règles européennes ». Des députés européens ont, pour leur part, demandé le 26 novembre des procédures « plus simples et plus rapides » pour permettre la suspension temporaire d’une marketplace en cas de violations graves et répétées du droit de l’Union, citant explicitement l’affaire Shein en France.
Sur le plan européen, plusieurs États membres — dont la France et l’Allemagne — ont demandé en septembre 2024 que Bruxelles prenne « toutes les mesures nécessaires » pour faire respecter le DSA à l’encontre des très grandes plateformes. Le dossier illustre l’enjeu plus large : concilier accès au commerce en ligne et protection des consommateurs, tout en maîtrisant les risques pour les marchés et les recettes fiscales.
Les procédures en cours en France et la pression européenne laissent entrevoir une intensification du contrôle sur les acteurs du e‑commerce à bas coût, mais les résultats dépendront des réponses des plateformes et des décisions de la Commission et des juridictions nationales.





