Le document de stratégie de sécurité nationale publié par la Maison Blanche le 5 décembre dresse un portrait alarmiste de l’Europe, en des termes qui n’épargnent ni les institutions ni les évolutions sociétales. Selon ce texte, le continent serait une sorte d’espace « woke » en voie de « grand remplacement », ses politiques migratoires dites laxistes la « transforment », et elle pourrait être « méconnaissable dans vingt ans ou moins ». La Maison Blanche y estime également que l’Europe a perdu sa « confiance civilisationnelle » et « son identité occidentale », et qu’elle s’est laissée gagner par des idéologies « désastreuses » telles que le « changement climatique » et le « zéro émission nette » (quotes reproduites d’après le document). MAGA (Make America Great Again) sert, dans le rapport, de prisme critique pour cette lecture géopolitique et culturelle.
Des forces politiques montantes et des alliances parlementaires
Le constat du rapport contraste, selon plusieurs observateurs, avec la réalité politique européenne telle qu’on peut l’analyser depuis l’année écoulée. Les partis dits « patriotes » ou souverainistes ont en effet renforcé leur poids électoral, notamment lors des scrutins nationaux et aux élections européennes de 2024, et leur influence se traduit aujourd’hui par des alliances ponctuelles au sein du Parlement européen.
Exemples récents illustrent ce glissement. Le 26 novembre, des groupes de droite et d’extrême droite au Parlement se sont alliés pour s’opposer à l’application d’une loi contre la déforestation. Puis, mardi 16 décembre, ces mêmes forces se sont à nouveau retrouvées pour voter un premier texte « omnibus » présenté comme visant à « simplifier » le Green Deal — le pacte vert européen adopté en 2021 — et qui, dans les faits, en réduit certaines obligations. Parmi les modifications figurent l’assouplissement des contraintes pesant sur les entreprises en matière de devoir de vigilance et de transparence, des évolutions qui, selon les critiques, compliquent la trajectoire de la transition énergétique.
Ces successions de votes montrent que la frontière entre droite et extrême droite tend à s’estomper sur des dossiers clés, et que des majorités variables peuvent désormais influer sur le contenu législatif européen.
Migrations : durcissement et externalisation
La politique migratoire européenne apparaît, là aussi, en pleine recomposition. Sous la pression de formations politiques plus dures sur les questions d’immigration, les Vingt-Sept ont adopté, lundi 8 décembre, plusieurs textes destinés à faciliter les expulsions et à permettre l’ouverture de centres de rétention — rebaptisés « hubs de retour » — dans des pays tiers. Cette orientation s’inspire, disent les commentateurs, du modèle déjà mis en œuvre par l’Italie dirigée par Giorgia Meloni, laquelle a conclu des accords pour transférer des procédures de retour en Albanie.
Parmi les mesures adoptées figure l’autorisation pour l’UE de renvoyer des migrants en situation irrégulière vers des pays qui ne sont pas nécessairement leurs pays d’origine, dès lors que ces États sont considérés comme « sûrs ». Ces dispositions visent à accélérer les procédures de retour et à réduire les flux, mais elles soulèvent des questions juridiques et éthiques liées à la notion de « pays sûr » et aux garanties offertes aux personnes renvoyées.
Un débat sur l’équilibre entre sécurité, souveraineté et transition écologique
Au cœur des tensions actuelles se trouvent deux logiques qui s’affrontent : d’un côté, la volonté de gouvernements et de groupes parlementaires de renforcer le contrôle des frontières et d’alléger certaines obligations réglementaires pour les entreprises ; de l’autre, l’ambition portée par le Green Deal et par des acteurs de la société civile de maintenir ou d’accélérer la transition écologique.
Les votes récents au Parlement européen et les textes adoptés au niveau des Vingt-Sept illustrent cet affrontement politique. Largement politiques par nature, ces choix reflètent des priorités divergentes sur la manière de concilier sécurité, compétitivité économique et objectifs climatiques. Ils montrent aussi que l’Union européenne reste un objet politique en évolution, où les majorités se forment et se défont autour de textes techniques qui n’en sont pas moins porteurs d’enjeux symboliques.
Dans ce contexte, l’analyse proposée par le document de la Maison Blanche — qui voit en Europe une trajectoire de déclin civilisationnel — se heurte à une réalité plus pragmatique et hétérogène : l’Europe apparaît moins monolithique qu’un tableau idéologique et davantage comme un espace de contestation et d’arbitrages politiques, où des forces nouvelles imposent déjà leurs marques sur des dossiers concrets.
Les faits rapportés — dates de votes et contenus législatifs — montrent une accélération des réformes sur des sujets sensibles. Ils soulignent également que l’équilibre politique à Bruxelles et dans les capitales reste mouvant, et que les orientations prises aujourd’hui auront des effets à moyen terme sur la capacité de l’UE à poursuivre simultanément ses objectifs de sécurité, de gouvernance et de transition écologique.





