Une exemption douanière remise en cause
Pendant des années, des plateformes d’e‑commerce comme Shein et Temu ont profité d’une règle européenne peu connue : les colis importés d’une valeur inférieure à 150 euros n’étaient pas soumis aux droits de douane. Cette exonération, pensée à une époque où le commerce en ligne était marginal, a montré ses limites face à la montée en puissance des ventes transfrontalières de produits à bas prix.
Selon les chiffres cités par les institutions, 12 millions de colis d’une valeur inférieure à 150 euros ont pénétré chaque jour le marché européen en 2024, soit trois fois plus qu’en 2022. La Commission européenne indique que 91 % de ces envois provenaient de Chine. Face à ce constat, les ministres européens des Finances ont décidé de supprimer progressivement cette exception.
Décision politique et calendrier transitoire
Jeudi 13 novembre, les ministres se sont mis d’accord sur la suppression de la franchise. Le Conseil de l’UE a annoncé que, à compter du premier trimestre 2026, les droits de douane seraient appliqués « dès le premier euro ». Cette décision doit encore être formellement validée lors d’un Conseil ultérieur — probablement le 12 décembre — avant d’entrer en vigueur selon le calendrier prévu.
Les ministres ont justifié cette mise en place progressive par la nécessité de « créer des conditions équitables pour les entreprises européennes et limiter l’afflux de produits à bas prix », formule reprise dans le communiqué du Conseil. L’initiative, rappelée par la ministre danoise de l’Économie, Stephanie Lose — dont le pays assure la présidence tournante de l’institution — a été saluée par plusieurs délégations.
Mesures techniques et harmonisation des frais
Au‑delà de l’alignement sur les droits de douane, l’Union prévoit la mise en place de frais de gestion pour compenser la charge administrative générée par l’énorme volume de colis. Le texte évoque un montant de 2 euros par colis, destiné à couvrir les coûts de traitement. La Commission note toutefois que certains États membres appliquent déjà des pratiques similaires : la Roumanie prélève ainsi 5 euros par paquet, tandis que la France étudie l’instauration d’une redevance de 2 euros.
Le Conseil met en avant un autre point sensible : la sous‑évaluation massive des biens importés. D’après les éléments transmis, jusqu’à 65 % des colis seraient déclarés à une valeur inférieure à leur prix réel, ce qui réduit d’autant les recettes douanières et fausse la concurrence avec les entreprises européennes.
Réactions et enjeux pour l’industrie
La décision européenne rencontre un accueil positif de la part de certains responsables économiques. Roland Lescure, ministre français, a salué la suppression de la franchise comme « une étape clé pour notre souveraineté économique » sur le réseau social Bluesky, rappelant que la France avait porté une grande partie de l’initiative au niveau européen.
Les ministres ont aussi souligné les tensions récentes entre États et plateformes : la France est par exemple engagée dans un bras de fer avec Shein, accusée, entre autres, d’avoir proposé sur son site des poupées à caractère pédopornographique, allégation qui figure dans le débat public et que les autorités françaises ont dénoncée.
Pour les entreprises asiatiques qui ont fait leurs succès sur des articles vendus pour quelques euros — vêtements, petits accessoires, gadgets électroniques — la suppression de la franchise modifiera les règles du jeu. L’objectif affiché par l’UE est d’assurer une concurrence plus équilibrée, sans toutefois déterminer définitivement le montant exact des droits qui devront être uniformisés entre les États membres, un point encore en négociation.
Calendrier final et perspectives
Le calendrier prévoit une première étape opérationnelle en 2026, suivie d’une harmonisation plus large des pratiques douanières qui devait, en principe, s’aligner sur une réforme douanière générale prévue pour 2028. Maroš Šefčovič, commissaire européen au Commerce et à la Sécurité économique, a jugé que le calendrier global était « incompatible avec l’urgence de la situation », ce qui explique le choix d’une solution transitoire dès 2026 plutôt que d’attendre la réforme finale.
La suppression de la franchise pour les petits colis marque une inflexion notable de la politique commerciale européenne. Elle vise à rétablir des règles communes et à mieux prendre en compte l’impact des volumes massifs d’importations à bas prix sur les recettes et la concurrence au sein de l’UE. Plusieurs éléments restent toutefois à préciser, notamment l’uniformisation des droits et la modalité exacte de leur application, sujets qui feront l’objet de négociations avant la validation définitive du texte.





