C’était une journée politique sous haute tension au Parlement européen. Alors que le nouveau Premier ministre français, Sébastien Lecornu, prenait ses fonctions à la mi-journée et que des drones russes survolaient la Pologne, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prononçait son cinquième discours sur l’état de l’Union, donné après sa réélection en 2024.
Un discours axé sur l’urgence et l’unité
Durant une intervention d’une heure et quart, Ursula von der Leyen a attendu de pied ferme les députés européens et a développé un ton grave pour expliquer pourquoi l’Europe devait « se battre » face aux crises multiples qu’elle traverse. Elle a appelé les groupes pro-européens à trouver des compromis, à proposer des solutions et à bâtir « une Europe unie » face à ces défis.
Avant de laisser la tribune, la présidente de la Commission a rencontré les leaders des huit groupes politiques du Parlement, après des contacts plus tendus la semaine précédente où certains responsables politiques avaient refusé d’entretenir des échanges approfondis et avaient glissé leurs priorités. Selon le texte, ces derniers ont présenté plusieurs propositions avant son intervention.
Des réactions politiques contrastées
Plusieurs élus ont réagi publiquement à l’appel au compromis. Xavier-François Bellamy (PPE) a estimé que « les compromis seront en effet la clé de la réussite ». Un député du Parti populaire européen a déclaré se dire prêt à avancer pour sortir l’Europe de la crise.
Valérie Hayer, présidente du groupe Renew, a résumé la préoccupation économique : l’Europe « [faisait] face à une urgence économique » et, sans action, « notre productivité risque de s’effondrer ». Elle s’est dite favorable aux annonces et au calendrier évoqués pour 2028, mais a jugé que « nous avons agi sur la simplification, c’est très bien, mais pas suffisant » et qu’il fallait des investissements européens pour soutenir les secteurs stratégiques.
Du côté des groupes S&D, Raphaël Glucksmann a insisté sur la nécessité de traduire les mots en actes : « si vous voulez transformer ces mots en actions, nous serons à vos côtés », a-t-il indiqué. Christophe Clergeau, vice-président du même groupe, a toutefois rappelé que l’appel à l’action resterait « relativement vain » si la question budgétaire n’était pas bouclée.
Budget pluriannuel et bénéficiaires en alerte
Le programme législatif présenté par la Commission se veut ambitieux, mais l’adoption du futur budget pluriannuel (2028–2034) pourrait s’annoncer compliquée. La présentation du 16 juillet dernier du Cadre financier pluriannuel (CFP) pour 2028–2034 a révélé une hausse globale du budget, sans toutefois apaiser les inquiétudes de certains bénéficiaires majeurs des fonds européens : agriculteurs et collectivités territoriales ont exprimé des réserves sur la redistribution ou l’orientation des moyens.
Valérie Hayer a notamment souligné le besoin d’investissements européens et la fierté industrielle de l’Union : « On doit retrouver à l’échelle européenne la fierté du Concorde, de l’Airbus, de l’Europe spatiale… On a l’intelligence, ce qui manque ce sont des investissements européens ». D’autres eurodéputés ont jugé que « il faut bien plus que des mots » pour que ces annonces se transforment en réalisations concrètes.
Sécurité, Ukraine et mesures nouvelles
La guerre en Ukraine restait omniprésente dans le discours. Ursula von der Leyen a confirmé la préparation d’un 19ᵉ paquet de sanctions visant à accroître la pression sur la Russie, assorti d’une accélération pour réduire la sortie des combustibles fossiles russes. L’exécutif européen a aussi proposé deux initiatives inédites : le programme « Avantage militaire qualitatif », pour soutenir les investissements dans les forces armées ukrainiennes, et le dispositif « Surveillance du flanc oriental », destiné à renforcer des capacités stratégiques indépendantes de l’Union.
À propos d’une violation de l’espace aérien polonais attribuée à des drones russes — qualifiée de « risquée et sans précédent » — la présidente a rappelé que « l’Europe était pleinement solidaire de la Pologne ». Ces déclarations ont été saluées par Manfred Weber (PPE), qui a estimé que la Commission « a agi sur de nombreux fronts » et contribué « au renforcement de la défense de l’UE ».
Gaza, commerce et tension transatlantique
Sur le dossier du Moyen-Orient, Von der Leyen a durci le ton face à Israël : elle a annoncé l’intention de mettre fin au soutien bilatéral accordé, de proposer des sanctions contre certains ministres qualifiés d’extrémistes ainsi que contre des colons violents, et d’envisager une suspension partielle de l’accord d’association sur ses volets commerciaux. Elle a aussi insisté sur l’urgence de libérer des otages détenus « depuis 700 jours ».
Enfin, l’accord sur les droits de douane américains, largement critiqué au Parlement, a concentré les débats. Ursula von der Leyen a rappelé la nécessité de préserver l’accès au marché américain pour les industries européennes et a mis en avant l’importance de diversifier les partenaires commerciaux, citant le Mexique, le Mercosur et l’Inde comme pistes de négociation. Elle a rappelé que l’UE exporte plus de 500 milliards d’euros de biens vers les États-Unis chaque année, soulignant les enjeux économiques et l’importance d’éviter une « guerre commerciale ».
La session a par ailleurs été marquée par des menaces de motions de censure à l’encontre de la présidente de la Commission, annoncées par les groupes de la Gauche et des Patriotes. Pour qu’une motion puisse être déposée, elle doit être initiée par au moins un dixième des députés européens (72 sur 720) et accompagnée d’une justification. Un précédent dépôt, en juillet, porté par l’extrême droite, avait été rejeté.
Au terme de cette journée, le bilan est contrasté : Von der Leyen a présenté un agenda large et plusieurs mesures nouvelles, mais la réalisation de ses objectifs dépendra des compromis budgétaires et politiques à venir au Parlement européen.